Qui est JCDC? Un DJ ? Un graffeur? Un biker? Un ex-troisième ligne de rugby Gersois ( il en a la carrure) ? Une rockstar? Un cartooniste ? Un popartiste? Un dadaïste? Un designer? Un visionnaire? Un jeune créateur ? Un vieux punk? Un Niçois? Un situationniste? Le pygmalion de Mareva Galanter? L'ami de Basquiat , de Malcolm Mc Laren et de Keith Haring? Le couturier de Lady Gaga et de Katy Perry? Le Warhol Français ? Un peu tout ça à la fois et plus encore, comme je l'ai découvert en rencontrant son double, Jean Charles de Castelbajac, dans son studio-galerie-concept store parisien, à l'occasion de sa dernière exposition sur "La tyrannie de la beauté" (1)
Une expo sur la tyrannie de la beauté, pour un créateur de mode, c'est paradoxal non?
Au moins, je sais de quoi je parle. J'aime que mon travail ait du sens. Je m'interroge depuis longtemps sur le concept de tyrannie et la manière dont on y réagit. On peut s'y soumettre ou se révolter. Celle de la beauté est réelle, mais plus insidieuse que les autres car elle n'a pas le même sens pour tout le monde. C'est ce que j'ai voulu montrer, par exemple, en soumettant l'image de Marie Antoinette à un chirurgien esthétique. Elle est considérée comme un canon de beauté classique. Qu'en serait-il aujourd'hui ? Comment l'améliorerait-on? L'expérience montre que les modifications demandées ne seraient pas les mêmes selon le pays. Une Marie Antoinette Russe ne réclamerait pas les mêmes transformations qu'une Française ou une Américaine. Les portraits retouchés selon ces critères sont ainsi très différents.
Que se passe-il avec vous tout d'un coup? On dirait que Castelbajac est partout. C'est un revival ou quoi?
Je préfère penser à une révélation. On redécouvre mon travail parce qu'il colle soudain à l'époque. Ou on le découvre. Après 43 ans de travail, les jeunes internautes qui se connectent à mon nouveau site croient que je suis un jeune créateur et j'adore ça.
Vous dites que l'époque vous sourit. Pourquoi selon vous?
Internet a provoqué un tsunami de décloisonnement. Moi qui ai toujours été dans la transversalité et le crossover , je me retrouve au cœur de la tendance.
Vous voudriez être le chef de file d'une nouvelle génération de cybercréateurs de mode ?
J'aimerais bien, oui. En tout cas, ça m'intéresse. Et ce n'est pas de l'opportunisme: cela fait sens avec mon parcours. Le 21e siècle est celui de la vérité , de la transparence et de la fulgurance. Il ne suffit pas de mettre une guitare en vitrine pour être considéré comme un créateur rock. Je n'ai pas attendu que Lady Gaga et Beyoncé portent mes robes dans leur clip pour travailler avec des musiciens, cela fait des décennies que je les côtoie. Mais c'est vrai que ce sont les rappeurs, comme qui ont adopté massivement mes vêtements avec Kanye West ou Jay Z, aujourd'hui les Grimers londoniens. Les blacks ont une compréhension directe de mon travail, sans doute à cause des codes urbains et des couleurs que j'utilise. Ma collection d'été, Tropical Airlines, que je présente le 5 octobre à Paris, sera d'ailleurs très africaine.
Avec JCDC, votre ligne pour les 14-25 ans, vous passez à un stade franchement commercial. C'est une façon tardive de rentrer dans le rang après des années d'avant garde?
Je ne nie pas la nécessité économique. Si je suis encore là alors que d'autres ont disparu, c'est parce que j'ai su m'adapter. J'ai aussi l'âge que j'ai ( 61 ans NDLR) et il y a un moment où il faut savoir grandir. Ce qui ne veut pas dire se renier. Le concept de Low Cost Luxury vient de là. On vit une époque où il faut conjuguer beau, fun , créatif , éthique et abordable. JCDC a cette ambition.
A quand remonte cette nouvelle approche ?
Les JMJ de 1997, pour lesquelles j'ai dessiné les chasubles du pape et de 5000 ecclésiastiques ont constitué un tournant. Jean Paul II a eu ces paroles incroyables ( « vous avez utilisé la couleur comme ciment de la foi ») et j'ai réalisé que je pouvais enfin concilier ma vocation d'artiste et mon histoire personnelle. Je viens d'une famille millénaire, catholique et militaire. J'aurais dû être médecin ou amiral la flotte. Ma soif de modernité m'en a préservé et mon talent m'a sauvé de ma Foi, mais c'est de là que je viens. Ensuite j'ai voulu faire de l'art avec un médium commercial, la mode. C'était schizophrénique, mais je suis d'une génération dans laquelle, pour créer il fallait se mettre en danger, quitte à y laisser sa peau comme mon ami Robert Malaval. La création était plus liée au doute qu'à l'épanouissement personnel ou financier. Aujourd'hui, je peux lâcher prise et je m'éclate.
JCDC c'est un clin d' œil à ACDC ?
Je n'avais pas réalisé que c'étaient mes initiales jusqu'à ce qu'elles commencent a être utilisées par les internautes pour parler de moi. Même chose pour mon installation du Pont Neuf sur Henri IV. Je l'avais baptisé Astronomy Domine, d'après Pink Floyd, car j 'ai toujours aimé la musique psychédélique. Sur Internet, c'est immédiatement devenu H4P9, ce qui est bien meilleur.
Les personnages de South Park, qui sont associés à la ligne JCDC , vous semblent symboliques de cette génération?
Ils lui parlent en tout cas. J'ai souvent détourné les cartoons à des fins transgressives. Celui là est transgressif par nature. Il collait si parfaitement à ce que je voulais faire que je n'ai pas eu besoin de le détourner.
Vous avez vécu quelques mois à Nice dans votre enfance, quels souvenirs en gardez vous?
Un souvenir incroyablement précis. J'avais 5 ans quand mes parents, qui vivaient au Maroc où je suis né, m'ont envoyé chez ma grand mère Blanche qui vivait a Nice pour échapper aux troubles. Je me souviens de tout : du jardin Massena où on allait se promener, du parfum des mimosas, du carnaval, de la colline du château, de l'appartement où nous habitions rue Beretta derrière le Negresco, de son petit chien Scarlett. L'autre jour, je regardais sur Youtube le clip d'Arcade Fire, dans lequel on peut remplacer les images de maisons par la sienne en tapant l'adresse dans Google Earth. Instinctivement j'ai écrit "rue du commandant Berreta, Nice". J'avais les larmes aux yeux en voyant le quartier puis la maison apparaitre à l'écran. Je crois que cette année à Nice a constitué la fondation de mon imaginaire: le carnaval, les chars, les couleurs... C'est ma Madeleine de Proust.
On vous sent accompli. C'est le cas?
Je suis plus heureux aujourd'hui que je ne l'ai jamais été. J'ai une femme formidable, inspirante, et j'ai le sentiment d'être allé au bout de mes rêves. Les ponts utopistes que nous avons jeté avec les artistes de ma génération sont presque achevés. Je transporte mes souvenirs dans mes projets... C'est effectivement une forme d'accomplissement.
(1) Galerie BANK 42 rue Volta Paris jusqu'au 23 octobre
Repères
28 novembre 1949 naissance à Casablanca (Maroc)
1954 vit à Nice chez sa grand mère Blanche
1955 en pension chez les oratoriens de Betharam
1967 taille sa première veste dans une couverture du pensionnat
1969 premier défilé "serpillières, éponges et toiles cirées"
1973 rejoint le groupe « Créateurs et Industriels »
1974 ouvre son premier concept-store à Paris.
1977 premier défilé au Japon, costumes pour Drôles de dames et Chapeau melon et bottes de cuir.
1982 crée ses premières robes-tableaux
1997 Création de vêtements liturgiques pour les XIIe Journées Mondiales de la Jeunesse
1999 rencontre Mareva Galanter
2000 Première collection haute couture « Bellintelligentzia »
2009 invente le concept du Lowcost luxury
2010 crée la ligne JCDC, expose à Paris, dessine les robes de Lady Gaga et Beyoncé pour le clip Telephone.
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