C'est, avec Michel Houellebecq, la star incontestée de la rentrée littéraire. Son dernier roman s'écoule à 4000 exemplaires par jour depuis sa sortie et les médias se l'arrachent pendant son court séjour parisien. Bret Easton Ellis m'a pourtant consacré une heure de son précieux temps pour parler de Suite(s) Impériale(s) , roman hollywoodien, noir, dépressif et paranoïaque ( voir critique ci dessous), dans lequel il retrouve, 25 ans après, les héros de Moins que zéro, le livre qui fit de lui l'equivalent d'une rock star planétaire. Look New Yorkais (sweater sous veste de costume, jeans et baskets), mais flegme californien, pimpant, chaleureux et jovial, l'écrivain américain enchaine les interviews avec une bonne humeur et une décontraction qui étonnent même son éditeur...



Dans Lunar Park, votre précédent roman, vous faisiez une description apocalyptique des tournées de promotion de vos livres. On dirait que celle- ci se passe beaucoup mieux. Qu'est ce qui a changé ?
Bon, je suis obligé d'avouer que j'ai un peu exagéré la réalité dans Lunar Park. Personne ne pourrait survivre à un truc pareil ! ( rires). Pendant la tournée de Lunar Park, j'étais effectivement très déprimé, mais ce n'était pas la seule raison. Ce n'est pas si terrible que ça en réalité, on s'habitue. Le risque, c'est que ça vire à la performance. J'essaie de rester concentré et sincère, cette fois.



D'où vous vient cette sérénité nouvelle?
Eh bien, disons que je suis heureux d'avoir pu terminer ce roman et d'être sorti de la dépression qui m'a accompagnée ces dernières années. Écrire est une thérapie, le poids du monde n'existe plus. Comme je vous l'ai dit, lorsque je me suis mis a écrire Suite(s)Imperiale(s) je n'allais pas bien du tout et le livre m'a aidé à traverser cette passe difficile.



Hollywood aurait-il eu le même effet sur vous que sur Clay, le héros du roman?
Oui, en moins dramatique cependant ( rires) . Je me suis mis à travailler sur ce film, The Informers , adapté de mes nouvelles sur les zombies, et ça ressemblait à un rêve d'avoir Mickey Rourke et Kim Basinger au casting. Mais le rêve s'est vite transformé en cauchemar. J'ai trouvé le film très mauvais et j'en avais tellement honte que je ne voulais même pas assister à la première. Comme j'y étais obligé par contrat , je me suis saoulé pour supporter le truc et curieusement, le lendemain, au lieu d'avoir la gueule de bois, je me suis senti libéré. La dépression s'est envolée quand j'ai réalisé que ce n'était qu'un film après tout. Tout le monde l'aura vite oublié.



Visiblement ça ne vous a pas dégouté du cinéma puisque vous travaillez sur un autre scénario, je crois?



Oui, j'essaie de faire un film avec Gus Van Sant qui s'appelle Golden Suicides et qui raconte l'histoire de deux artistes qui ne survivront pas à Hollywood ( rires) Gus ne devrait pas le réaliser et je pourrai bien apprendre la semaine prochaine que je n'en suis plus le scénariste... Mais c'est comme ça que ça fonctionne à Hollywood ! ( rires)



Pour revenir au roman, qu'est ce qui vous a poussé à faire une suite de Moins que zéro?
Pour Lunar Park, j'écrivais l'histoire d'un écrivain qui s'appelle Bret Easton Ellis et j'ai eu besoin de relire un peu de ce qu'il avait écrit. Après avoir refermé Moins que zéro, j'ai commencé à me poser plein de questions sur les personnages, ce qu'ils étaient devenus, etc... Ça ne m'a plus lâché, au point que je me suis senti obligé de coucher sur le papier quelques notes sur ce qu'aurait pu devenir Clay, par exemple.J'avais déjà commencé le livre sans m'en apercevoir. Ce que je vivais à ce moment-là à Hollywood avec The Informers m'a poussé a continuer dans cette voie. Depuis mes debuts, au fond, j'écris toujours sur moi et sur ce que je suis au moment ou j'écris. Aujourd'hui, je ne pourrai plus écrire le même roman.



Clay, c'est vous?



Oui et non. Disons que je suis aussi proche de lui que je l'étais au moment de Moins que zéro, mais aussi éloigné aussi. On a a peu prés le même âge et on vit plus ou moins dans le même milieu, c'est tout.



La paranoïa est une constante dans votre œuvre , l'est elle aussi dans votre vie?
Le succès incroyable de Moins que zéro m'a projeté dans un monde auquel je n'étais pas préparé. Je n'avais que 21 ans et ça a gravement altéré mes relations avec les autres. J'ai mis très longtemps a m'habituer à ce phénomène de célébrité. Si j'avais pu choisir , j'aurais volontiers attendu dix ans de plus. Aujourd'hui ça va mieux, mais j'ai perdu beaucoup d'amis.



Vous avez mis trois ans a écrire Suite(s) Impériale(s) , c'est un délai de gestation normal chez vous?



Oui, car je suis un écrivain très lent. Je n'ai écrit que 6 livres en un quart de siècle. Celui-là n'a pas été plus facile, ni plus difficile à écrire que les autres. Généralement, c'est la douleur qui provoque l'écriture. J'écris pour m'en libérer.



A-t-il été difficile de retrouver l'écriture minimaliste de Moins que zéro?
Pas spécialement. A l'époque, le minimalisme était le courant dominant dans l'art contemporain. Pour les écrivains, Carver était notre Dieu. Ce type d'écriture m'est venu naturellement. Plus tard, je m'en suis un peu éloigné, mais pas trop finalement.



Quels sont les auteurs qui ont influencé votre vocation?
J'ai toujours beaucoup lu et j'ai commencé à écrire par imitation. Ça me semblait une bonne idée pour échapper au monde. J'ai écrit mon premier roman à 14 ans , sur l'été de mes 14 ans qui me semblait particulièrement intéressant a raconter, mais qui ne l'était pas comme j'ai pu le constater en ayant terminé le livre ( rires). Je place Flaubert au-dessus de tout. Après, il y a eu Hemingway. Et Carver, comme je vous l'ai dit.



Lisez vous des auteurs français contemporains?
J'aime beaucoup Houellebecq, dont j'ai presque tout lu, sauf le dernier qui n'est pas encore traduit. J'ai lu aussi le livre sur les Twin Towers, de Beg... Bed... Bel... Quelque chose bidet ou débet (Frédéric Beigbeder NDLR). Mais on trouve peu de traductions de vos auteurs aux Etats Unis.





Question subsidiaire: pourquoi avoir emprunté deux titres d'Elvis Costello pour Less Than Zero et Imperial Bedrooms?



A l'époque de Moins que zéro, je trouvais Costello très cool et j'adorais sa musique. Je pouvais facilement m'identifier à lui, en tant que petit blanc anglo saxon rejeté et mal dans sa peau ( rires). Au moment de trouver un titre pour la suite, Imperial Bedroom m'a paru très adéquat. Il s'est rapidement imposé.