Plus de 700 livres publiés en cette rentrée littéraire, et on ne parle que d’un seul. C’est injuste, certes, mais pour une fois légitime : La carte et le territoire de Michel Houellebecq est un grand roman, probablement le chef-d’œuvre de son auteur. C’est aussi un roman « aimable », de ceux que l’on a plaisir à offrir autour de soi.
Aimable le nouveau Houellebecq? On n’aurait pas cru pouvoir écrire cela un jour de l’auteur controversé des Particules élémentaires, de Plateforme et de La possibilité d’une île. Pas de partouzes, ni de provocations sexuelles ou raciales dans La carte et le territoire. Moins polémique que ses prédécesseurs, le roman n’en est pas pour autant moins intéressant, ni surtout moins profond. Houellebecq y poursuit sa description maniaque du monde contemporain sur le ton faussement savant (lui reprocher ses emprunts à Wikipedia est une imbécillité), détaché, mélancolique et drôle qui a fait sa marque. Le narrateur, Jed, artiste contemporain presque à l’insu de son plein gré, traverse son siècle comme un somnambule, ne s’attachant vraiment qu’aux produits de consommation courante et aux grandes surfaces alimentaires qu’il fréquente avec assiduité. Pour les besoins d’une exposition, sur l’insistance de son galeriste, il part en Irlande demander à Michel Houellebecq d’écrire le texte de présentation. Une étrange amitié va naître entre ces deux êtres profondément asociaux.
C’est la première fois que l’écrivain se met en scène dans l’un de ses romans. Il le fait d’une manière à la fois touchante et poétique, n’hésitant pas à se livrer plus sincèrement qu’il ne l’a jamais fait, ni à organiser dans la troisième partie (la plus surprenante du livre) son propre meurtre rituel!
Déroutant, labyrinthique mais maîtrisé de bout en bout, d’une virtuosité sidérante, La Carte et le territoire est un livre qui ne vous lâche plus une fois entamé et qui vous poursuit longtemps après l’avoir terminé. Houellebecq réussit l’exploit de s’y renouveler sans se renier en aucune manière. Le Goncourt, qui lui échappe depuis Les Particules élémentaires, semble, cette fois, lui être promis.

La Carte et le Territoire (Flammarion), 450 pages, 22 euros