Le voila donc le film qui a mobilisé plusieurs compagnies de gendarmerie mobile et transformé le palais des festivals en bunker hyper sécurisé (filtrage serré et fouilles à rallonges à l’entrée de la séance de presse).Anti français, le cinéma de Rachid Bouchareb? Difficile pourtant de faire plus "qualité France" dans la forme : c’est L’Armée des ombres mâtiné de La Scoumoune (plutôt que Rocco et ses frères, qui était pourtant la référence majeure du réalisateur). Révisionniste sa vision de la décolonisation? Certainement pas. Sauf à penser, bien sûr, que les torts et la violence n’étaient que dans un camp.

Le film débute en 1925. Une famille de paysans voit arriver le chef du village accompagné de gendarmes. Il leur porte un ordre d’expulsion exécutable dans les trois jours. Leurs terres et leur ferme appartiennent désormais à un colon français. Malgré leur colère et leur tristesse, ils partent sans faire d’histoires. On comprendra par la suite que c’était la famille des trois héros du film : Saïd (Jamel Debbouze), Messaoud (Roschdy Zem) et Abdelkader (Sami Bouajila). On les retrouve le 8 mai 1945 à Sétif, où Messaoud et Abdelkader s’apprêtent à prendre part à une manifestation pour l’indépendance, tandis que Saïd a organisé un combat de boxe dans la rue. Vient la fameuse scène du massacre de Sétif. Elle dure effectivement six minutes (sur plus de deux heures). On y voit l’armée et la gendarmerie tirer sur les manifestants qui s’enfuient. Le traitement est réaliste, sans dramatisation particulière. Pas de gros plans sur les morts, pas d’images d’enfants tués, pas de femmes hurlant ou en pleurs. Bouchareb montre, par contre, quelques Français d’Algérie prêtant main-forte à la police en faisant des cartons sur les manifestants depuis leur balcon. Ce sont les images les plus dérangeantes du film. Aucune mention n’est faite du nombre de morts. Un plan sur les cadavres alignés dans les rues laisse seulement penser qu’il y en a eu beaucoup.

Direction Paris où Saïd et sa mère se sont installés dans un bidonville pour se rapprocher d’ Abdelkader emprisonné pour activisme. Messaoud a été incorporé dans l’armée et envoyé en Indochine. Leur père est mort pendant le massacre de Sétif. Lorsqu’Abdelkader est libéré et que Messaour rentre d’Indochine, Saïd a versé dans le proxénétisme pour faire bouillir la marmite familiale. Son séjour en prison n’ayant servi qu’à radicaliser son engagement, Abdelkader recrute pour FLN et devient un cadre du mouvement. Messaour, endurci par la guerre, accepte d’en devenir le bras armé. Sous la pression de ses frères Saïd renonce au proxénétisme, mais pas à la vie facile. Il gère un cabaret et organise des combats de boxe dont il reverse, contraint et forcé, une partie des recettes à l’organisation. La lutte se durcit. D’attentats en répression, les morts s’accumulent dans les deux camps. Bouchareb insiste à plusieurs reprises sur le cynisme du FLN, dont la répression sert les objectifs. Mais il montre aussi la création de la Main Rouge, qui servira à l’élimination physique des cadres du FLN (l’OAS par contre n’est jamais mentionnée), renvoyant ainsi dos à dos les violences policières et celles du FLN.

Au-delà du contexte historique, le film s’attache surtout à raconter (plutôt bien) le destin tragique des trois garçons. L’empathie qu’il crée naturellement avec eux n’est suspecte d’aucune sympathie pour le terrorisme, ni d’aucune fascination pour la violence (trés peu montrée).
Ouvert sur des images d’archives de la libération de Paris (qui font le lien avec Indigènes), Hors la loi se termine sur celles de l’indépendance Algérienne. Sans triomphalisme.

Fin de la polémique, début du palmarès?