Si l’on ignorait que le monde va mal, la sélection du Festival 2010 suffirait à s’en convaincre. Au palmarès du film le plus sinistre de l’édition la plus déprimante des dix dernières années la concurrence sera dure. À ce stade de la compétition, le bien nommé Biutiful d’Alejandro Gonzalès Inarritu (un pauvre type qui parle aux morts apprend qu’il va mourir d’un cancer en laissant ses enfants dans la misère), l’emporte d’une courte tête (de mort) sur le tout aussi bien nommé Mon bonheur (My Joy en anglais) de l’Ukrainien Sergei Loznitsa, dans lequel une série de pauvres hères se croisent et s’entre-tuent le long d’une route maudite et enneigée qui ne mène nulle part. On ne désespère pas de l’autre Russe, Nikita Mikhalkov, pour faire au moins aussi bien avec Soleil Trompeur 2 (un film de guerre). Le Projet Frankenstein du Hongrois Kondrel Mundruczo (le destin brutal d’un réalisateur et de son fils monstrueux) est également très prometteur.Mais le Thaïlandais Apichatpong Wheerasethakul pourrait tout le monde d’accord avec Oncle Boonmee celui qui se souvient de ses vies antérieures dans lequel un homme qui va mourir d’une insuffisance est hanté par les fantômes de sa femme et de son fils disparu.

La Route

En attendant Mon Bonheur suffit largement au notre. Le film croise plusieurs histoires, à diverses époques, le long de ce qui semble être une même route de campagne au fin fond de la Russie. La principale est celle de Georgy, un jeune chauffeur routier que l’on voit partir de chez lui (où sa femme est prostrée et ne lui parle pas), pour aller livrer on ne sait où une cargaison d’on ne sait quoi (il s’avérera que c’était de la farine). Détourné de sa route initiale par un embouteillage, il prend une voie de traverse sur les conseils d’une prostituée mineure qui faisait le tapin dans le coin. Mal lui en prend. Après avoir traversé un village plus ou moins hostile, il se perd et s’embourbe. La nuit tombée, trois vagabonds aux mines patibulaires (mais presque) le tuent pour lui voler sa cargaison. Dans la séquence suivante, deux soldats qui fuient l’avancée de la Wermacht trouvent refuge pour la nuit dans la maison isolée d’un instituteur qui vit seul avec son petit garçon.Pour le remercier de son hospitalité, ils le trucident et jettent son corps dans le poulailler. En se réveillant le lendemain matin, l’enfant attend son père qui ne reviendra pas. On essaie ensuite de suivre l’itinéraire en zigzag d’un barbu autiste en chapka à la démarche mal assurée, qui se fait tabasser sur un marché, finit en prison, est libéré par un codétenu, s’enfuit et finit par piquer du nez dans la neige, épuisé.Il est recueilli par un vieil homme que deux militaires tuent, après avoir voulu lui faire signer le bon de réception du cercueil d’un jeune soldat mort dont ils ne retrouvent pas les parents. Le film se termine un peu plus loin sur la route, dans un poste de police isolé, où les deux flics de garde tabassent salement un de leur collègue de Moscou, dont la voiture avait un phare en panne. Là, l’autiste n’en pouvant plus (on le comprend) sort de sa catatonie et tue tout le monde. Le spectateur qui a tenu jusque-là ferait volontiers de même avec le scénariste. Comme le dit l’un des protagonistes : « On vit une époque pas tranquille ».