Trois ans après 5.55, son premier album enregistré avec Air, Charlotte Gainsbourg a fait appel à Beck pour IRM, son deuxième effort de chanteuse que l’on trouvera demain dans les bacs.Un disque au son très différent du premier, dont l’abord pourra déconcerter, mais qu’on adoptera vite, pour peu que l’on n’ait rien contre les arythmies du surdoué californien Beck, les chanteuses qui murmurent à l’oreille des fans et les bruits de résonance magnétique. Bon petit soldat de la promo Charlotte en a parlé avec à peu tout le monde sur la planète média, de TF1 à Paris Match en passant par Rolling Stone et les Inrocks. Voici ce qu’elle m'en a dit ...

Comment s’est faite la connexion avec Beck?
J’ai toujours aimé son travail et je l’ai vu plusieurs fois en concert. Je l’avais croisé en studio lors de l’enregistrement de 5.15 avec Air parce qu’on avait le même producteur, Nigel Godrich. Quand le temps d’enregistrer un deuxième album est venu, je l’ai appelé pour savoir si, par hasard, il aurait envie de travailler avec moi. Ca me paraissait naturel d’aller vers lui.

Son univers musical est très éloigné de celui de Air. Vous aviez envie de changement?
Je n’avais pas envie que cet album ressemble au précédent. Je voulais essayer de trouver quelque chose de vraiment différent. En même temps, je n’avais pas d’idée précise. Ce que je voulais, c’était explorer des choses, essayer plusieurs styles. Beck était l’idéal pour ça : il est capable d’adopter tous les styles parce que tous font partie de sa culture musicale.

D’où viennent ces influences africaines, ces sons tribaux?
C’est venu assez vite pendant l’enregistrement. Beck a vu que je réagissais bien à ces sons de percussions et il a poussé dans cette voie. Ce sont des rythmes très primitifs que j’aime beaucoup. J’entendais beaucoup la musique de mon père à travers eux. Il les a utilisés dans « Couleur Café » ou « New York USA ». Je m’y retrouvais bien.

Quels ont été vos apports personnels à l’écriture de l’album?
J’ai apporté dans mes bagages des titres, des lectures, des poésies d’Apollinaire, Alice au Pays des Merveilles dont on trouve une réminiscence sur le titre fantôme de l’album.J’ai aussi écrit une partie de la comptine qu’on entend sur « Greenwich Meantime ».Et, bien sûr, les sons d’IRM auxquels je tenais beaucoup

Ils renvoient pourtant à de mauvais souvenirs. C’est une forme d’exorcisme?
Ce n’est pas un souvenir agréable, mais musicalement ça m’a fait délirer.Après le premier IRM, plutôt angoissant, j’en ai passé beaucoup d’autres et j’ai eu le temps d’apprendre à aimer les images et les idées que cela provoque.L’IRM pour moi, ça évoque la mémoire, les souvenirs, le cerveau, la vie, la mort...Cela me paraissait intéressant d’en parler dans l’album. Musicalement, c’est un peu dérangeant, chaotique, mais très intéressant il me semble.

Comment s’est passé l’enregistrement?
On a fait ça par sessions étalées sur un an et demi à Los Angeles, dans le studio de Beck. Cela me plaisait de le faire sur la durée, tout en continuant de travailler à côté. Lui aussi faisait autre chose, de sorte que, quand on se retrouvait, on était forcément dans des humeurs et des énergies différentes. Cela donne à l’album un côté patchwork, éclectique qui me plaît beaucoup.

Comment situez-vous IRM par rapport au précédent?
Je ne le compare pas. Je voulais qu’il soit différent et il l’est. 5.15 était un disque sur la nuit, la rêverie. Celui-là est plus solaire, plus rythmé avec un mélange original de sons humains et de machines.

Allez vous surmonter votre légendaire timidité pour le jouer sur scène?
Je ne l’ai pas fait dans cette intention, mais j’y ai pensé en enregistrant les deux derniers morceaux, que je voulais plus rythmés que les autres. Ca a amusé Beck de les faire en se disant que ce serait sans doute agréable de les jouer sur scène. Je vais essayer parce que j’en ai très envie, mais c’est difficile de dire aujourd’hui si je vais vraiment le faire. J’ai commencé à répéter avec un groupe que Beck a formé pour moi à Los Angeles. On verra ce que ça donne, mais ça me rassure beaucoup d’avoir son soutien.

Jouerez-vous quelques chansons de votre père?
Je ne sais pas. Ca paraît tellement évident que je ne sais pas si je dois le faire. Il les a chantées très bien, ma mère aussi. Je ne sais pas si c’est vraiment utile que le fasse aussi.Je veux dire en dehors du plaisir que je pourrai évidemment en tirer...


En dehors de votre père, quelles ont été vos influences musicales?
Ma mère écoutait beaucoup Brassens, Elvis et les Beatles.Mon père était plutôt branché Dylan, Chopin et Bach.Mes premiers émois de rock remontent à Ian Dury. Aujourd’hui, j’écoute surtout Dylan, qui reste une vraie affinité peut-être à cause du film sur sa vie auquel j’ai participé (I’m not There de Todd Haynes NDLR). Sa musique était très présente avant, encore plus maintenant. Mes deux titres fétiches sont Lay Lady Lay et Sarah. Sinon, en ce moment j’écoute beaucoup le Remix de « Heaven can wait » par Grizzly Bear que j’adore, Animal Collective, Robert Johnson que Beck m’a fait découvrir, MIA et Cab Calloway.

Côté cinéma, comment avez-vous vécu l’après Antichrist?
À Cannes j’étais sur un nuage mais je n’ai pas eu le temps d’en profiter beaucoup.Il a fallu que je redescende très vite. Je suis partie tout de suite à LA finir l’album, puis en Australie tourner avec. Le tournage m’a beaucoup marquée. C’était plus une expérience qu’un rôle. Comme d’avoir eu l’autorisation d’être en crise pendant deux mois ! (rires) Le retour à la normale a été plus perturbant : je m’étais habituée à cet état de crise permanent. Le prix d’interprétation m’a rendue très fière.C’est une reconnaissance qui m’a beaucoup valorisée.Les critiques, on s’y attendait un peu. Il y a une part de provocation assumée dans ce que fait Lars von Trier. Par contre, je ne suis pas d’accord sur sa supposée misogynie : il a toujours écrit de très beaux rôles de femmes.

À quelques semaines de la sortie du film de Johann Sfar sur votre père, quels sont vos sentiments?
Je devais jouer son rôle mais j’ai renoncé.Je m’en sentais très incapable car cela touchait à des choses trop intimes.Je n’aurais pas pu vivre avec ça. Je me suis donc vite détachée du projet en le laissant libre d’aller à son terme puisque nous en avions accepté le principe. Je n’irais pas voir le film tout de suite. J’aurai besoin d’un peu de temps, je crois. Ca ne va pas être forcément quelque chose de facile pour ma mère et moi.

Vous avez également renoncé à faire de la maison de la rue Verneuil un musée.Pourquoi?
Il y a eu beaucoup de choses ces derniers temps. Entre l’exposition de la Cité de la Musique et le film sur sa vie, je n’y arrivais plus. J’ai eu envie de garder quelque chose de lui un peu secret, intime. La maison est sans doute ce qu’il avait de plus personnel. Je préfère la laisser un peu tranquille pour le moment.

. Charlotte Gainsbourg «IRM» (Because) ***