Combien de cinéastes ont créé un style ? Assez peu finalement. On dit « Fellinien », « Bergmanien », « Godardien », « Pasolinien », « Antonionien ». On dit aussi « Zulawskien ». Pour définir quoi au juste ? Une esthétique de l'excès (les détracteurs diront de l'hystérie) ? Le réalisateur polonais réfute la thèse. « Excessif par rapport à qui ? À quoi ? Au mur ? Alors oui », admet-il seulement lorsqu'on le confronte aux images de l'accouchement monstrueux d'Adjani dans Possession. C'est ce qu'a fait la cinémathèque de Nice, en fin de semaine dernière. Andrzej (prononcer Andréou) Zulawski était invité à y donner une « leçon de cinéma » que l'on n'est pas prés d'oublier. Fourageant dans sa barbe et dans sa tignasse blanchies sous le harnois, taclant son interlocuteur de droite, flattant celui de gauche, le vieux visionnaire (69 ans), spécialement arraché par avion aux brumes de Varsovie, n'a pas mâché ses mots, ni renié ses images. Zulawskien toujours, donc. Extraits choisis…
Leçon N° 1 : « Le cinéma est fait pour montrer »
« Tout ce qui se montre est vision de l'invisible. C'est une citation et ce pourrait être ma définition du cinéma. Si tu ne veux pas montrer les choses à l'écran, ne fais pas de cinéma, écrit plutôt. C'est ce que je fais le plus souvent d'ailleurs. J'ai écrit plus de livres que je n'ai fait de films. Le monstre de Possession, je voulais qu'on le voie. Les producteurs ont embauché le plus grand spécialiste des effets spéciaux de l'époque, Carlo Rambaldi (le créateur du premier Alien). Il est arrivé avec un container énorme dont il a sorti une espèce de pénis géant de deux mètres de haut avec des yeux ! « Au prix où on te paye, je lui ai dit, tu as jusqu'à demain pour me fabriquer un truc potable. Sinon je te tue ». Il a bossé toute la nuit avec les moyens du bord et m'a fabriqué le monstre à tentacules qu'on voit dans le film. Il fallait une demi-douzaine d'assistants pour l'animer, dont un encastré dans le matelas qu'on avait creusé pour qu'il rentre dans le corps de la bête. Mais c'était bien »
Leçon N° 2 : « Jouer est une affaire de femmes »
Pourquoi jouons-nous ? Pourquoi y-a-t-il des théâtres ? Pourquoi toute religion est-elle d'abord une représentation ? Ces questions m'obsèdent depuis toujours. Comme je n'ai pas les réponses, je n'ai fait que tourner et tourner pour tenter de comprendre. C'est à travers mon contraire, la femme, que je peux trouver les réponses. Voilà pourquoi je les mets en scène et pourquoi on dit de moi que je suis un « accoucheur d'actrices ». Jouer est une affaire de femmes, les hommes qui jouent le mieux sont ceux chez lesquels la part de féminité est la plus grande (Zulawski a fait débuter Dutronc et Canet et remis en selle Klaus Kinski).
Romy Schneider ? Une des femmes les plus femmes que j'ai connues. Dans ses faiblesses et dans ses forces. Il fallait la rassurer sans cesse et la mettre en confiance pour qu'elle explose comme elle le fait dans L'Important c'est d'aimer, face à Dutronc. Une actrice, c'est un sportif de haut niveau. À chaque scène elle doit battre le record du monde, sinon c'est pas la peine.
Isabelle Adjani ? Nos deux réputations étaient épouvantables, il n'y a pas eu de match. Personne n'en voulait tellement elle était chiante et personne ne voulait tourner avec moi parce que je faisais peur. C'était l'actrice la plus douée du cinéma européen. Après le film (Possession) elle m'a dit : « Vous n'aviez pas le droit de regarder aussi profond
en moi ». Super compliment. Résultat, elle a eu tous les prix pour ce rôle (dont celui d'interprétation à Cannes).
Valérie Kapriski ? Le corps le plus magnifique de l'histoire cinéma. Qui aurait voulu l'empêcher de le montrer (dans La Femme Publique) ? Elle était partie pour être la plus grande star du cinéma mondial et elle a détruit sa carrière en écoutant les critiques qui lui disaient de s'interdire de faire des trucs comme ça ».
Sophie Marceau (Zulawski refuse de commenter l'extrait de La Fidélité, film qui marque sa séparation avec l'actrice, visiblement toujours douloureuse. C'est à Nice qu'il l'avait rencontrée pour lui proposer L'Amour braque) ? Bergman a eu le bonheur de faire de ses femmes des amies qu'il a pu filmer à tous les âges. Faire des films, écrire, avoir des enfants, c'est la même chose ».
Leçon N°3 : « Un metteur en scène de race, c'est quelqu'un qui ment à tout le monde, sauf à lui-même»
Je suis né en 1940 dans une ville condamnée à mort (Lvov) qui fait aujourd'hui partie de l'Ukraine. Pour que sa famille survive pendant la guerre, mon père a prêté son corps à des expériences médicales sur le typhus. On leur faisait sucer le sang par des poux porteurs du germe pour en extraire du vaccin. Il a passé la guerre en état second, à 42° de
fièvre. Je suis né de ses poux et de mon enfance je ne me souviens que de choses qu'un enfant ne devrait jamais voir. Pourtant, seul l'enfant en nous est intéressant. J'espère le garder en moi le plus longtemps possible. À 15 ans, à Varsovie, où l'on tuait encore les gens dans des caves, j'ai vu un film de Wajda qui a décidé de mon destin. Si on pouvait filmer des choses aussi parlantes, c'est ce que je voulais faire. Mais, à cette époque, le film qu'on voyait à l'écran n'était pas celui que le réalisateur avait voulu faire. Pendant 40 ans, en Europe de l'Est, il fallait un code particulier pour déchiffrer les intentions du cinéaste. Cela a donné à ce cinéma une dimension particulière. J'en ai tiré la conclusion qu'un metteur en scène de race, c'est quelqu'un qui ment à tout le monde sauf à lui-même. Malgré un certain talent pour la
dissimulation, mes films ont été les plus longtemps interdits. Dix-huit ans pour Le Diable ! une sorte de record…
Pour Le Globe d'Argent je suis tombé sur un commissaire politique plus intelligent que les autres. Il a compris tout de suite ce qu'on essayait de faire et il a fait arrêter le tournage, brûler les décors et ensevelir le reste sous le sable pour qu'il n'en reste rien. Par chance, le négatif avait été conservé dans un labo. On l'a retrouvé sur un radiateur et il a pu être remonté pour être montré à Cannes. Je l'ai fini en commentant en voix off des images des décors : là, on aurait filmé ça, là il se passait ceci ou cela… À la fin, je ne me trouve pas dans l'excès, plutôt dans l'insuffisance. Le cinéma, c'est humble, agressif, sincère. Le bon cinéma, c'est celui qui donne des coups, pas qui s'érige ».
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La leçon de cinéma de Zulawski à Nice
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