Pleurer en public. Pleurer un proche. Avoir la possibilité de le faire. Assumer son chagrin, les sanglots, les larmes et venir les accepter comme quelque chose de normal.

Dés lors, moi, je ne dois pas considérer les pleurs, mes pleurs comme le témoignage d'un abandon de quelque chose, un lâcher prise ou un manque de contrôle.

Pourtant, je sais c'est con mais ces larmes pourraient me déstabiliser face au groupe mais aussi participer à sa déstabilisation en lui faisant perdre ses propres repères ... Oui, savoir qui est celui ou celle qui en a le droit. Celui ou celle qui doit être fort pour les autres. Doit-on alors toujours accepter d'être le responsable, le référent du groupe ? J'étais alors pour eux à la fois la figure de proue, un phare dans les nuits de tristesse et les tempêtes de larmes …

Et puis, dans la vie de tous les jours, dans cette société égoïste et individualiste, on nous demande souvent de tout garder pour soi, tout canaliser et contrôler ... Certains apprennent à vivre avec, en intériorisant ses sentiments … D'autres n'y arrivent pas ou ne veulent pas y arriver.

Pour ma part, je vivais les petits bonheurs de mon quotidien sans avoir besoin de verser ces larmes et pleurer un bon coup. D'ailleurs, je ne l'avait pas fait à la mort de mon père ni à son enterrement alors que la famille, la plupart de mes grands frères l'avaient fait.

Moi, je me sentais apaisé, en paix avec mon père et avec moi-même et, pourtant, je me sentais comme incapable de pleurer son départ et verser les larmes d'une source tarie.

Je ne pouvais continuer à vivre avec cet handicap social, cette faiblesse. ll me fallait reconnaître ce besoin qui n'est pas assouvi en moi. Ce besoin, ce pouvoir, cette envie que l'on regrette de ne pas avoir eu. Essayer, si possible, de formaliser les choses et comprendre l'incompréhensible …

Et soudain, alors que je pensais, déjà, être banni des larmes, l'impensable est arrivé, d'une façon soudaine, suite à l'écoute, à la radio, de témoignages des proches d'un inconnu décédé des suites d'un cancer.

J'étais alors chez moi, tout seul détendu sur ma chaise. J'avais quitté le centre du groupe et mon rôle de référent pour celui d'un simple auditeur et spectateur d'une émotion nouvelle, forte et non contrôlée ...

J'étais surpris de sentir les larmes qui coulaient sur mes joues. Je sanglotais et je me sentais alors comme soulagé de ma peine, délivré enfin après avoir en réussi à briser ces chaînes que je portais malgré moi ...

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