Nicolas Sarközy de Nagy-Bocsa
Nos ancêtres les Gaulois…
Coauteur de L’homme qui a défié Babel (Éditions Ramsay, Paris)
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Introduction
Cet article est un hommage à René Centassi, ancien rédacteur en chef de l’Agence France Presse, avec qui j’ai rédigé une biographie du père de l'espéranto, le Dr Zamenhof, sous le titre L’homme qui a défié Babel. Il reprend, complète et réactualise un chapitre du manuscrit d’un autre ouvrage que nous envisagions de publier mais qui avait été refusé par un autre éditeur. Nous nous proposions de le remanier. Sa disparition, le 10 janvier dernier, a mis fin à ce projet.
Après avoir vécu sa jeunesse en Égypte, où son talent de journaliste fut très vite remarqué, René Centassi a sillonné le monde. Sa carrière l’a mené entre autres à Beyrouth, où il fut directeur du bureau de l’AFP pour le Liban, en Italie, au Mexique, aux États-Unis…
Très cultivé, polyglotte, il rédigea aussi, avec son collègue Gilbert Grellet, lui-même journaliste à l’AFP, une biographie d’Émile Coué parue chez Robert Laffont sous le titre “Tous les jours, de mieux en mieux”. Ce titre pourrait s’appliquer aussi à une langue internationale qui, tous les jours, de mieux en mieux, apporte un nombre toujours plus grand de services et de satisfactions à ceux qui ne se sont pas arrêtés au ouï-dire : l’espéranto.
Bien que maîtrisant quatre langues parmi les plus utilisées dans les relations internationales, René Centassi a acquis par le vécu la conviction qu’une langue internationale commune, d’apprentissage plus facile, sans lien avec quelque nation ou puissance que ce soit, était devenue une nécessité pour le monde moderne. Il avait commencé à apprendre l’espéranto.
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Voici quelques décennies, cette phrase d’un manuel d’histoire utilisé aussi par les enfants des pays colonisés par la France ne paraissait ni ridicule ni absurde. Puisque c’était dit et écrit, les élèves d’Afrique noire n’avaient pas à s’étonner d’être les descendants d’hommes à peau blanche et à grosses moustaches dont la légende disait qu’ils étaient grands, blonds !
Aujourd’hui, personne ne trouve ridicule ni absurde qu’un Japonais soit contraint de communiquer avec un Chinois en anglais, de même qu’un Iranien avec un Congolais, un Égyptien avec un Brésilien. C’est vrai aussi en Europe entre un Français et un Tchèque, un Finnois et un Grec, un Hongrois et un Danois, un Ukrainien et un Norvégien, un Néerlandais et un Italien, un Polonais et un Irlandais, sans compter bien d’autres couples possibles de langues si différentes entre elles qu’elles sont incompréhensibles de part et d’autre sans un long apprentissage. La connaissance satisfaisante de l’anglais exige beaucoup de temps, d’efforts et de moyens financiers, alors que nos interlocuteurs préféreraient sans doute entrer à moindre frais et dans les meilleurs délais dans le vif du sujet qui les intéresse, ou consacrer leur temps à autre chose. Là aussi, le temps, c’est de l’argent.
Des grandes cérémonies ont marqué le centenaire de l'abolition de cette forme de domination totale sur l’être qu’est l'esclavage. Mais combien de ceux qui ont fait de beaux discours et de beaux articles ont pensé que l’imposition de la langue d’une puissance, par ceux qui ont le privilège de l’avoir comme langue maternelle, est une forme de domination mentale ?
La libération mentale passe par la libération linguistique. La langue est un facteur de pénétration des idées de ceux qui, à leur avantage, veulent imposer les leurs aux autres, ainsi que leur manière de voir le monde, de vivre, de penser, de consommer.
Metteur en scène de théâtre, de cinéma et de télévision, entré au secrétariat de l’UNESCO en 1970 où il est devenu responsable du programme relatif aux politiques de communication, John A. Willings a ainsi exposé, dans Le Courrier de l’UNESCO (avril 1977), le dilemme qui existe pour les pays du tiers monde : “La plupart des pays multilingues du tiers monde doivent faire face à deux grands problèmes qui ont trait à une politique linguistique en matière de communication. Le premier concerne la propagation; le second, les langues qu’il convient d’utiliser dans le cadre de la communication internationale.”
Cet aspect a été abordé dans un article de la revue Esperanto (organe de l’Universala Esperanto-Asocio, Rotterdam, janvier 1979) reproduisant un entretien de Victor Sadler, son rédacteur, avec le Dr M.H.Saheb-Zamani, professeur à l’Université de Téhéran. Le Docteur Saheb-Zamani a fait quelques observations sur la diffusion des langues officiellement utilisées dans la communication internationale : “Les 347 années de domination coloniale britannique en Inde et dans d’autres parties du monde ont prouvé que les langues dites naturelles de l’Occident ne conviennent pas pour le rôle de moyen de communication tel que celui dont nous avons besoin.”
Même constatation de Mostafa Lacheraf, auteur de L’Algérie, nation et société : “On nous dit qu’on nous avait imposé l’usage du français. Le croire tout bonnement, sans procéder à la moindre analyse, reviendrait à accorder un préjugé favorable au colonialisme, dans un pays qui compte près de 85% d’analphabètes bien qu’il soit resté pendant 130 ans au contact direct avec la langue française.”
L’Algérie boude aujourd’hui la francophonie. L’arabe à lui seul ne lui permet pas des échanges avec le monde entier. L’enseignement du français à un niveau satisfaisant pour toute la population exigerait un effort colossal. Il en serait d’ailleurs de même pour toute autre langue étrangère, donc l’anglais, auquel la préférence est actuellement donnée.N'y a-t-il pas lieu de chercher une voie autre que celle suivie jusqu’à ce jour ?
Constat d'échec
L’un des piliers du colonialisme français, le maréchal Lyautey (1854-1934), avait affirmé en son temps : “Le plus grand obstacle à notre colonisation est la grammaire française”. Or, l’époque de la colonisation est révolue. Il faut envisager un autre type de rapport entre les peuples. Un proverbe tibétain dit que “Quand deux sages confrontent leurs idées, ils en produisent de meilleures; le jaune et le rouge mélangés produisent une autre couleur.” Le mode de pensée imposé par la colonisation ne s’apparentait pas forcément à la sagesse.
La sagesse, elle existe partout; la folie aussi, hélas !
Lancée par le Prix Nobel Élie Wiesel, l'Académie Universelle des cultures est sans aucun doute une idée des plus sages. Pourtant, les limites de la sagesse de cet aréopage sont très vite apparues.
Interrogé pour Le Figaro (22 janvier 1993) sur le risque pour cette Académie “de devenir aussi difficile de maniement que l’UNESCO”, Élie Wiesel a affirmé ne pas voir un tel problème : “Non : le fonctionnement est très léger. Et les membres de l’Académie ne représentent qu’eux-mêmes.” Le but était de “constituer une sorte de laboratoire d’idées mais aussi d’idéaux”.
La question — pourtant importante — de la communication linguistique n’a été qu’effleurée lors de l’installation de cette académie. Soixante-dix personnes en tout, de divers pays, de cultures et langues différentes, seront appelées à réfléchir sur l’avenir du monde en tirant les leçons du passé. Elles seront amenées à échanger le fruit de leurs recherches, de leurs réflexions, de leurs comparaisons. Or, une semaine plus tard, le 29 janvier, dans l’émission télévisée “Bouillon de culture” de France 2, lors de la diffusion de l’inauguration, il s’avérait déjà que beaucoup des membres n’avaient aucune langue commune. Cette grave lacune n’a pas échappé au présentateur, Bernard Pivot, qui a déclaré sans ambages : “Votre Académie, c’est la Tour de Babel !”… Ce à quoi l’une des participantes, anthropologue, répondit : “Oui, nous savons que nous aurons des problèmes de traduction”…
Si de telles difficultés surgissent à ce niveau, parmi des hommes d'une très grande culture, des privilégiés du savoir, comment ne pas comprendre l'entrave, le lourd handicap que les problèmes de communication linguistique constituent pour le développement des pays du tiers monde ?
Les grandes puissances poursuivent leur politique linguistique sans s’apercevoir que l’imposition de leur langue, le conditionnement linguistique mené par la contrainte, aboutissent finalement au contraire de ce qu’elles espèrent. Le cas de l’Iran est éloquent. Le rejet de tout ce qui était américain a été d’autant plus brutal que l’imposition de leur manière de vivre, de voir et de penser, par le biais de la langue, a été intense, pesante, insupportable, contraire à l’esprit d’un peuple. De tous les pays du tiers monde, c’est l’Iran qui, sous le règne du chah, a consacré le plus de moyens à l’enseignement de l’anglais, alors que la population était analphabète à 63%. Le ministre de l’éducation d’Iran avait lui-même avoué, avant la chute de ce régime, que cet enseignement était un échec.
Le russe n’a rien gagné à tenter de s’imposer par la contrainte dans les pays dits “satellites“. Des manifestations violentes ont eu lieu parfois en Inde contre l’anglais. Pour l’Amérique latine, l’anglais a une coloration qui rappelle de mauvais souvenirs, en liaison avec l’installation et la survie de régimes d’oppression.
L’analphabétisme est un sérieux handicap dans bien des pays où le français et l’anglais règnent comme langues officielles. Au Sénégal, où la « francité » de Léopold Senghor a été maintes fois vantée, le pourcentage d’hommes et de femmes analphabètes de plus de 15 ans est respectivement de 57 et 76,8 %. Il y a donc lieu de s’interroger sur le bilinguisme, et encore plus sur le multilinguisme, tel qu’il est appliqué ou envisagé ici et ailleurs. Ce problème s’applique à l’expansionnisme de toute langue liée à un pays ou groupe de pays, ce qui n’est pas le cas de l’espéranto puisqu'il appartient au même titre à tous les peuples. La nécessité d’une langue de communication mondiale anationale (non-nationale) est plus que jamais d’actualité pour mettre fin au processus désastreux décrit par Albert Memmi, dans Portrait du colonisé (Éd. J.-J. Pauvert, Paris, 1966) : “Dans le contexte colonial, le bilinguisme est nécessaire. Il est condition de toute communication, de toute culture et de tout progrès. Mais le bilingue colonial n’est sauvé de l’emmurement que pour subir une catastrophe culturelle, jamais complètement surmontée.”
Les exemples abondent, et il serait sans doute utile d’établir des statistiques encore plus précises et détaillées que celles qui existent et qui sont déjà plus ou moins connues, ainsi que d'analyser les conséquences économique et sociales de la politique linguistique et culturelle : “Sait-on, par exemple, que plus de 70% des adultes sont analphabètes, que les trois quarts des Marocains ont moins de vingt-cinq ans et n'ont devant eux d'autres perspectives que le chômage ou l'exil sur les rives européennes de la Méditerranée ?” (Le Monde : "Hassan II et son opposition", 15 décembre 1990)
Une question éludée
Alors que l'enseignement des langues prend une place croissante dans les programmes d'éducation des pays industrialisés, le budget de traduction et d'interprétation ne cesse d’y croître et n'a jamais pris des proportions aussi préoccupantes dans les organismes internationaux, comme si le mal empirait avec le remède. La traduction et l'interprétation, qui ne devraient être qu'occasionnelles, deviennent pratique courante et même quasi systématique. Une part de plus en plus importante du budget des organisations internationales (ONU, UNESCO, FAO, OMS, etc.) est prélevée pour des activités bureaucratiques, c'est-à-dire des tâches autres que celles pour lesquelles ces organisations ont été fondées, alors que les moyens humains, matériels et financiers manquent sur le terrain.
Ces organismes trouvent de l’argent pour des pratiques qui renforcent la situation dominante des langues de quelques pays — alors que toutes les autres langues sont exclues — et n’en trouvent plus lorsqu’il s’agit de sortir des populations de la détresse.
Ainsi, par exemple, c'est "faute d'argent" que l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) doit renoncer chaque année à entreprendre des projets d'aide sanitaire, d'assainissement, de lutte contre la maladie, la sous-nutrition, contre la cécité, pour la réadaptation des handicapés physiques, etc.
Que penserait-on d’une locomotive dont la majeure partie de l’énergie serait utilisée pour actionner… le sifflet ?
Le problème des langues contribue à accroître le déséquilibre entre le Nord et le Sud. Il favorise les flux d’échanges avec profit à sens unique au détriment des plus démunis, la fuite des cerveaux et l'émigration, avec tout ce que cela représente de déracinement. Dans son édition de 1993, l’encyclopédie Quid signalait qu’un million de personnes hautement qualifiées avaient ainsi quitté leur pays en 25 ans. De vastes zones de notre globe sont de ce fait privées des forces vives nécessaires à leur développement pendant que les problèmes d’immigration dans les pays industrialisés deviennent de plus en plus difficiles à maîtriser.
Des responsables politiques prennent conscience des répercussions du problème des langues sur le développement économique, social et culturel, mais un immense effort de réflexion et d'information doit encore être accompli. Le problème est reconnu, mais le pas entre la reconnaissance et la décision est rarement franchi. Cette déclaration de M. Mustapha Masmoudi, en 1981, alors ambassadeur de Tunisie, semble à peine dépasser le stade de la simple constatation : “Bien que la multiplicité des langues qui s'impose dans les organisations internationales, et les difficultés afférentes s'accroissent continuellement, j'ai l'impression que l'on a persisté à éviter d'aborder ce sujet. Pour apprendre une langue étrangère, on doit lui consacrer beaucoup de temps et d'énergie. Il est évident, pour cette raison, qu'une langue commune est une solution à ce problème. Je ne connais pas suffisamment l'espéranto pour plaider en sa faveur. A cet égard, je suis sans préjugés.”
Il eut par la suite l’occasion de préciser sa pensée : “(…) Je ne suis pas encore espérantiste, mais je crois à l’utilité de grandes initiatives semblables à la vôtre. J’espère que l’espéranto et toutes les personnes qui travaillent dans le même but trouveront finalement un écho favorable au sein des organisations internationales, apportant leur contribution à la mise en ordre des problèmes linguistiques qui se trouvent souvent à l’origine du manque de compréhension internationale.” S’adressant plus particulièrement à l’Universala Esperanto-Asocio, il ajouta : “Votre association mérite le respect et la considération de toute l’humanité.”
Le raisonnement tenu la même année par M. Abdelatif Rahal, ambassadeur d'Algérie à l'ONU, montrait une prise de conscience débouchant sur une attitude plus affirmée : “L'état actuel du chaos linguistique dans les organisations internationales résulte de la concurrence des nations les plus puissantes pour imposer leur langue et acquérir ainsi un avantage supplémentaire. L'espéranto, au contraire, ne s'impose pas assez fortement, parce qu'il n'a pas d'intention cachée. Ses avantages sont toutefois évidents et son introduction aiderait les petites nations, ainsi que les groupes ethniques minoritaires, à conserver leur identité culturelle. Cela signifierait pour nous une seconde libération, la décolonisation culturelle.”
Ce qui est remarquable, c’est que la nécessité d’une langue commune est fortement ressentie. Mais, jusqu’à maintenant, depuis que des langues nationales ou plurinationales ont tenté de s’accaparer le rôle tenu par le latin durant des siècles, celles-ci n’ont cessé d’être rejetées à partir du moment où leur pression a été perçue comme une agression par des populations. Parmi les absents du sommet de la francophonie d’Hanoï, il y avait l’Algérie et la république démocratique du Congo. Beaucoup de responsables perçoivent le problème, mais la question de le résoudre par l’espéranto n’est presque jamais abordée, sans doute parce que ses ressources et possibilités leur sont encore trop méconnues.
Cet extrait d’article du Nouvel Observateur (22-29 janvier 1992) montre où s’arrête le plus souvent la réflexion : “Aucun État moderne ne peut se passer d’une langue officielle, vecteur d’échange, outil de communication. Mais l’instauration d’une langue officielle — universalisante — correspond toujours à une violence faite aux langues minoritaires, à la marginalisation des autres cultures. Il est de fait qu’aujourd’hui l’impérium des langues officielles se trouve spectaculairement contesté : le russe l’est évidemment dans toute l’ancienne URSS, l’anglais recule chaque année aux États-Unis, le français dans les ex-colonies du Maghreb et des Antilles, etc. Le ‘droit à la différence’ débouche ainsi sur une justice rendue aux cultures minoritaires, mais aussi sur une atomisation sociale qui n’est pas sans conséquence sur le fonctionnement de la démocratie.”
A l’inverse du russe, de l’anglais, du français, du portugais ou de l’espagnol, l’espéranto ne doit sa diffusion à aucune forme de contrainte ou de violence, mais à la libre réflexion, à la raison, au désir de dialogue et de fraternité. La chape de plomb maintenue çà et là depuis longtemps sur l’espéranto, dans la politique, dans l’enseignement ou l’information, a privé chaque individu, chaque peuple, chaque pays, et en définitive toute l’humanité, d’un formidable facteur de progrès.
Vers une culture mondiale
Ethnologue et sociologue américaine de renommée mondiale, première femme ayant reçu le prix Kalinga de vulgarisation scientifique, Margaret Mead (1901-1978) n’a pas été entendue lorsque, voici déjà quelques années, elle avait plaidé en faveur d’une culture mondiale : “Nous sommes arrivés au point où chaque pays est mis en danger chaque fois qu’un désastre s’abat sur l’un quelconque des autres pays. Il faut donc convertir cette interdépendance effrayante en un type de relations qui procure sécurité et joie de vivre.” Elle proposait en outre la normalisation de tous les systèmes et unités de mesure, des termes scientifiques et techniques, une seule monnaie pour le monde entier, et enfin une langue commune basée sur une langue naturelle que tous les peuples utiliseraient tout en conservant leur langue maternelle. Au moment où l'Union européenne se dote d'une monnaie unique, nous pouvons mesurer le cheminement d'idées autrefois inimaginables.
Ce qu’offre l’adoption de l’espéranto sur le plan mondial, c’est de libérer des ressources humaines, matérielles et financières considérables pour la réalisation des tâches prioritaires. Pour le tiers monde, c’est la perspective d’affecter les moyens ainsi libérés à l’enseignement de/dans leur propre idiome et de pouvoir communiquer avec le monde entier dans l’espace d’une génération. C’est la possibilité de faire régresser l’analphabétisme qui touche près d’un milliard de personnes dans le monde. Pour la jeunesse des pays défavorisés, c’est le tremplin le plus accessible qui soit pour améliorer la connaissance de leur propre langue. Infiniment moins coûteuse et moins longue que toute autre solution, la mise en place d’un programme prenant l’espéranto en compte doit faire l’objet d’un examen approfondi.
Il est prouvé que la formation d’enseignants se fait rapidement, sans moyens sophistiqués, même sans séjours à l’étranger, avec rien d’autre que de bons manuels. Une seule cassette pour la prononciation n’est même pas indispensable. A cet égard, il existe un exemple assez frappant qui remonte à 1902. A Montréal, ne disposant que de manuels et n’ayant aucun contact oral direct, aucun professeur, les premiers Canadiens, anglophones et francophones qui se lancèrent dans l’apprentissage de l’espéranto eurent quelques incertitudes à propos de la prononciation. Ils envoyèrent donc un phonographe et deux cylindres de cire (support utilisé à cette époque pour les enregistrements) au Dr Zamenhof, le père de l’espéranto, en lui demandant de bien vouloir leur faire parvenir un exemple de prononciation. Lorsqu’ils reçurent le cylindre, les Canadiens constatèrent que leur manière de parler et celle qu’ils pouvaient enfin entendre étaient rigoureusement identiques. Une telle chose est inimaginable avec le français, et à plus forte raison avec l’anglais dont la prononciation est chaotique et l’intonation très complexe.
Nous connaissons, dans des pays du tiers monde, de nombreux cas de personnes isolées qui ont écrit convenablement leur première lettre en espéranto après seulement quelques mois d’étude. Il y a cependant une évidence : à quoi bon une langue qui offre encore trop peu de débouchés professionnels, de moyens de gagner sa vie ?
C’est une affaire de volonté individuelle et politique : où nous nous résignons à accepter, donc à perpétuer, une situation dont nous savons qu’elle est injuste, que ses conséquences sont néfastes, qu’elle conduit à un écart de plus en plus lourd de menaces, qu’elle ne cessera de s’aggraver, ou nous créons la dynamique d’un nouvel ordre linguistique mondial qui amorcera un processus de démocratie planétaire.
Lorsque l’on se trouve dans une impasse, il faut se donner les moyens d’en sortir. Le système appliqué jusqu’à ce jour entre deux interlocuteurs de langues différentes oblige l’un d’eux à apprendre la langue de l’autre (anglais ou français, le plus souvent) sans qu’il y ait réciprocité, alors que l’espéranto propose de se rencontrer en quelque sorte à mi-chemin.
Les pays les plus touchés par les problèmes de communication linguistique peuvent se doter aisément de l’espéranto, c’est-à-dire d’un moyen performant et précis par lequel deux interlocuteurs de langues différentes accomplissent un même effort pour aller l’un vers l’autre. Le fait que cette langue ait été dénigrée par des partisans de l’expansionnisme des langues dominantes en dit long sur leur conception de la démocratie. L’adoption des chiffres arabes, originaires de l’Inde, s’est elle-même heurtée fort longtemps à de tels comportements alors qu’ils présentaient une avancée considérable tant pour les sciences que pour la vie de tous les jours. Des résistances existent. Dans l’intérêt général, il faut les vaincre.
Des choses qui paraissaient inimaginables, comme l’abolition de l’esclavage, le droit de vote des femmes, se sont réalisées grâce à la clairvoyance et la volonté de précurseurs.
Lorsqu’il était directeur général de l’UNESCO, M. Amadou-Mahtar M’Bow avait déclaré : “Le débat ouvert sur la communication est un débat qui ne cessera pas, quelles que soient les menaces que peuvent proférer quelques uns, ou quelles que soit la volonté qu’auraient quelques autres de voir ce débat s’arrêter“.
La question reste d’actualité.
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Article écrit le 19 juillet 2007
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