Bonne question d'Arnaud Montebourg

Le 3 octobre 2006, Arnaud Montebourg i, député PS de Saône-et-Loire, avait eu le rare courage de poser la question écrite suivante au ministre de l'Éducation nationale d'alors, Gilles de Robien :

M. Arnaud Montebourg appelle l'attention de M. le ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche sur la question de l'apprentissage de l'espéranto dans le système scolaire français. Il est admis que la politique de l'éducation nationale en matière d'enseignement de langues vivantes vise à la fois la maîtrise technique et phonétique d'une langue, mais également et surtout à appréhender, au travers de son exercice, la géographie, l'histoire, la culture des peuples qui la parlent. L'enseignement de l'espéranto, dont l'identité ne repose sur aucun support historique ni géographique, peut être envisagé par les établissements scolaires dans le cadre des activités éducatives complémentaires d'initiative locale, mais n'est pas sanctionné par une épreuve officielle au baccalauréat, ce que déplorent ses adeptes. Au vu des conclusions du rapport « l'enseignement des langues étrangères comme politique publique », remis par le professeur François Grin en septembre 2005 à la demande du Haut Conseil de l'évaluation de l'école, il lui demande de lui indiquer s'il entend prendre des dispositions afin d'encourager l'enseignement de cette langue, à l'instar de certains pays membres de l'Union européenne tels que la Hongrie. ("J.O." — Question N° : 105608, p. 10230).

Mauvaise réponse de Gilles de Robien

“L’apprentissage des langues vivantes répond à un double objectif : permettre aux élèves de disposer et d’un outil de communication et d’un vecteur de la découverte du pays où cette langue est en usage. Cet aspect d’ouverture sur la civilisation et la société des pays concernés, pleinement intégré dans les contenus des enseignements de langue vivante à l’école, au collège et au lycée, est un des éléments constitutifs de ces enseignements. Or, en raison de ses caractéristiques de langue neutre, dépourvue de supports littéraires, historiques ou géographiques présents dans d’autres langues classiques ou vernaculaires, l’espéranto ne peut offrir cette approche culturelle et sociétale indissociable de la connaissance d’une langue vivante. Pour cette raison, l’espéranto ne peut être retenu parmi les langues offertes à l’école et dans les classes de collège et de lycée au titre des enseignements de langue vivante ni être inscrit aux examens comme matière à option. Néanmoins, ainsi que le mentionne l’honorable parlementaire, la possibilité demeure, pour des établissements scolaires volontaires, d’organiser une initiation à l’espéranto, à leur initiative et sur leurs moyens propres, dans le cadre d’activités complémentaires.” ("J. O." — 23/01/2007, p. 850)

Gilles de Robien n'a fait que réutiliser les stéréotypes répétés par ses prédécesseurs, de gauche comme de droite, durant des décennies. Lionel Jospin tout comme Jack Lang n'ont pas plus brillé lorsqu'ils ont occupé le même poste, de même que le premier des ministres de l'Éducation nationale de l'ère mitterrandienne, Alain Savary. Voir à ce sujet "Culture et espéranto", une réponse de Claude Piron, ancien traducteur polyvalent de l'Onu et de l'OMS pour l'anglais, l'espagnol, le russe et le chinois.


Il y a en fait un blocage au plus haut niveau depuis le début des années 1920, lorsque le gouvernement français s'était opposé à tout débat sur l'espéranto à la Société des Nations, même après la publication, en 1922, d'un rapport éloquent sur l'intérêt de son enseignement : "
L'espéranto comme langue auxiliaire internationale"ii. L'utilisation des locaux scolaires pour des cours d'espéranto ne fut interdite à cette époque qu'en France, qui était alors une puissance colonialiste au sein de laquelle des personalités influentes rêvaient d'un retour à l'Empire, et dans la décennie suivante en Allemagne sous le régime nazi... L'interdiction fut levée en 1924 sous le gouvernement d’Édouard Herriot, et il y eut une courte éclaircie avec le ministre Jean Zay qui fit admettre l'espéranto comme activité socio-éducative en 1938iii. Léon Blum s'était lui-même exprimé en sa faveur : "Je voudrais que, dans tous les villages et dans toutes les villes, on enseigne l’espéranto, qui serait un facteur pour l’entente des peuples et le plus sûr moyen pour maintenir la paix universelle."

Contrairement à l'écrasante majorité de ses collègues députés, Arnaud Montebourg n'ignore pas ce qu'est l'espéranto. C'est dans son département, en 1897, qu'un collégien de Louhans,
Gabriel Chavet, fonda le premier club d'espéranto de France.


Curieusement, le rapport "
L'enseignement des langues étrangères comme politique publique", qu'il mentionne dans sa question, est très vite passé à la trappe, alors que le rapport Thélot "Pour la réussite de tous les élèves : Rapport de la Commission du débat national sur l'avenir de l'Ecole présidée par Claude Thélot", d'octobre 2004, qui élargissait la voie à la dérive vers le tout-anglais, a reçu un large écho médiatique.


Et ceci alors que, près d'un siècle auparavant, un professeur polyglotte,
Théophile Cart, avait écrit au ministre de l'Instruction publique :

Le malaise résultant d’un tel état de choses est si réel, qu’on s’efforce d’y apporter remède, en tous pays, par la place, de plus en plus grande, qu’on réserve, dans l’enseignement public, aux langues vivantes, alors que, d’autre part, la somme des connaissances générales qu’il convient d’acquérir, va, elle aussi, en augmentant.
Il n’y a aucune témérité à prédire que la solution par l’étude des langues étrangères, toujours plus nombreuses et mieux apprises, aboutira à la faillite. Vainement on s’efforce de la retarder par de fréquents remaniements de méthodes. Elle est fatale, parce que la mémoire a ses limites. Le nombre de personnes capables d’apprendre ‘pratiquement’ deux ou trois langues étrangères, avec tant d’autres choses, en outre est infime ; or c’est à un nombre d’hommes continuellement croissant qu’il importe de communiquer avec des nations de langues différentes, de plus en plus nombreuses.

Depuis le rapport Thélot, la pression pour le tout-anglais s'est considérablement accentuée au détriment des autres matières et des autres langues, y compris le français, surtout depuis 2007, et ceci alors que, lors de son "discours de Caen", le 9 mars 2007, le candidat Nicolas Sarkozy avait dit :

"Surtout je me battrai pour que soit généralisé partout en Europe l'enseignement de deux langues étrangères parce que c'est la seule façon efficace pour que l'hégémonie de l'anglais soit battue en brèche."

C'est précisément le contraire qui se passe. Cette belle promesse fut enterrée le 11 septembre 2007, quelques mois seulement après son élection à la présidence. Xavier Darcos, son ministre de l’Éducation nationale, déclara alors, à l'école Willy Brandt de la "ville pilote" d'Élancourt : "J'ai reçu du Président de la République la mission de faire de la France un pays bilingue"iv. Cette déclaration, par laquelle le pouvoir inféode la France au pays chef de file de la mondialisation sauvage, constitue une réponse obéissante et docile à l'argumentation exprimée en 2000 par Margaret Thatcher à l'Université de Stanford : “En ce XXIe siècle, le pouvoir dominant est l’Amérique, le langage dominant est l’anglais, le modèle économique dominant est le capitalisme anglo-saxonv. A terme, un tel bilinguisme conduit à l'éviction du français comme langue de la république.

Ainsi se réalise, en France, ce que le directeur d'une grande chaîne mondiale d'écoles d'anglais avait écrit : “Il fut un temps où nous avions l'habitude d'envoyer à l'étranger des canonnières et des diplomates; maintenant nous envoyons des professeurs d'anglais"
vi. Churchill, qui avait dit de l'anglais que c'est "une langue très facile à parler mal", avait encouragé le développement du Basic English à propos duquel il avait écrit à la BBC, en juillet 1943 : “Je suis très intéressé par la question de la langue anglaise basique. L'utilisation propagée de ceci serait un gain bien plus durable et profitable que l'annexion de grandes provinces“. L'annexion de la France est en bonne voie.

Jamais autant de ministres et de hauts responsables n'ont eu le prix de la Carpette anglaise que sous Sarkozy (Claude Thélot y avait eu droit en 2004),

  • Christine Lagarde, ministre de l'Économie et des Finances (Lauréate 2007)
  • Christine Albanel, ministre de la Culture et de la Communication (Prix spécial 2007)
  • Jacques Barrot, vice-président de la Commission européenne (Prix spécial 2007)
  • Xavier Darcos, ministre de l’Éducation nationale (Candidat nommé 2007)
  • Jean-Marie Bockel, secrétaire d’État à la Francophonie (Candidat nommé 2007)
  • Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d’État chargé des Affaires européennes auprès du ministre des Affaires étrangères et européennes (Candidat nommé 2007)
  • Valérie Pécresse, ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche (Candidate nommée 2007, lauréate 2008)
  • Richard Descoings, directeur de l’Institut d’études politiques de Paris (2009)
  • Jean-Louis Borloo, ministre d'État, ministre de l'Écologie, de l'Énergie, du Développement durable et de la Mer (Prix spécial 2009 à titre étranger). Et celui-ci a tenu à en rajouter une couche sur Canal+, le 4 septembre 2011, alors qu'il ne savait pas encore s'il serait candidat pour les présidentielles de 2012, en proclamant haut et fort, et en martelant ses mots : "100% des gamins à la fin du primaire sachant lire, écrire, compter et parler anglais comme une langue maternelle."

et il semble que seul le maître d’œuvre de ce système y ait échappé, avec Luc Chatel, né dans le Maryland, qui veut gaver le cerveau des enfants à l'anglais dès l'âge de trois ans et leur poser ainsi des œillères linguistiques, les amener à voir le monde, à penser et à se conduire "à l'américaine". C'est extrêmement grave, car les premières impressions sont à cet âge très marquantes pour toute la vie. Faire baigner l'esprit de l'enfant dans une culture qui n'est pas internationale mais bel et bien celle d'une nation dominante, qui est le pilier de l'ordre économique actuel, c'est une forme d'endoctrinement, de conditionnement.


Le 13 février 2010, Rachida Dati se flattait de ce que le 7e arrondissement était l'arrondissement pilote en matière d'initiation à l'anglais en maternelle
vii. Mais, plus grave, son projet de réforme de l’École Nationale de la Magistrature (ENM), liée au ministère de la Justice, prévoyait de supprimer toutes les autres langues au bénéfice exclusif de l'anglais à l'épreuve obligatoire de langue vivante pour l'accès à l'ENM. Ce qui, à terme, signifie un alignement de la justice française sur le modèle anglo-saxon. Le jour où la Grande-Bretagne fera la loi en France se rapproche.

Dans un entretien publié le 3 février 2011 sur le site Slate.fr, sous le titre "Les Français must speak english — Il faut faire de la maîtrise des langues étrangères une priorité en France, estime Jean-François Copé", le secrétaire général de l'UMP avait tout simplement proposé, après avoir avoué "Je ne parle vraiment pas bien anglais. Les langues étrangères, ça n’a jamais été mon point fort!", que les films ou les séries anglo-saxonnes qui sont diffusées à la télévision française le soient en anglais avec sous-titrage en français. Évidemment, aux frais du contribuable, et ceci alors qu'il était question d'enseignement DES langues au pluriel !

Xavier Bertrand, qui s'exhibe en lisant " The International Herald Tribune", ignore sans doute que, le 12 octobre 1978, ce même quotidien avait fièrement intitulé un article "English is a Profitable Export".

Le transfuge Bernard Kouchner avait déjà été lauréat de la Carpette anglaise en 1999 du fait que, comme représentant spécial du secrétaire général de l'ONU au Kossovo, alors que l'ONU a deux langues officielles (le français et l'anglais), il n'utilisait que la seconde, y compris avec ses interlocuteurs francophones. Il n'avait rien trouvé de mieux que de dire "L'anglais est l'avenir de la francophonie" !!! Il n'a utilisé le mot "esperanto" que dans son livre "La frénésie culturelle" pour le comparer au football dans les favellas de Rio, au Brésil : "Ce langage simple et porteur, 'esperanto' des frustrés, il faut favoriser son expansion, à la fois ludique et fédératrice". (p. 136) Mais rien sur le vrai espéranto qui, bien avant la fondation de la SDN, puis de l'Onu et de ses agences, dont l'Unesco, et même de l'Union européenne, préconisait de nouveaux rapports, plus équitables, entre les peuples :

"Ce serait mieux si, au lieu de grands et de petits États européens nous avions un jour des "États-Unis d’Europe" proportionnellement et géographiquement établis. Mais s’il est maintenant trop tôt pour en parler, on doit au moins, par un accord officiel et accepté sur le principe évoqué ci-dessus, éliminer ce grand mal, cette source infinie de conflits continuels que représente l’identification d’un pays avec une ethnie. (...)
Messieurs les diplomates ! Après l’effroyable guerre exterminatrice, qui a abaissé l’humanité plus bas que les bêtes les plus sauvages, l’Europe attend de vous la Paix. Elle n’attend pas qu’une pacification, mais une paix permanente, la seule qui soit digne d’une race humaine civilisée. Mais souvenez-vous, souvenez-vous, souvenez-vous que le seul moyen d’atteindre une telle paix est déliminer pour toujours la cause des guerres, séquelle barbare du temps le plus antique ayant précédé la civilisation : la domination de certains peuples sur d’autres peuples." (Dr L.-L. Zamenhof : "Après la Grande Guerre : Appel aux Diplomates", novembre 1915).

Alors que la devise choisie pour l'Union européenne est "Unité dans la diversité", des chaînes de télévision publique font l'apologie de l'anglais et diffusent des reportages sur l'enseignement DES langues — encore au pluriel ! —, alors qu'il n'est question que de rien d'autre que d'anglais. Ils présentent comme une avancée le fait que des enseignants anglais natifs enseignent l'anglais ou des matières fondamentales en anglais en France. Et nul ne se rend compte que nous sommes en plein processus de domination dénoncée avec de nombreuses références par le professeur Robert Phillipson dans "Linguistic Imperialism" du professeur Robert Phillipson (1992), et sa suite de 2010 "Linguistic Imperialism Continued", deux ouvrages qui devraient être traduits et publiés en françaisviii et aussi, en français par Charles Durand dans " Une colonie ordinaire du XXe siècle"

Jamais la publicité n'a autant fait usage de l'anglais pour des slogans ou pour des fonds sonores de chansons en anglais, comme dans les grandes surfaces ! Jamais le français n'a été aussi piétiné en France. Nous assistons à un verrouillage anti-démocratique de la question linguistique et de la communication internationale conforme à ce qu'envisageait la Conférence anglo-américaine qui eut lieu à Cambridge en cachette en 1961 et où la Grande-Bretagne et les États-Unis manigancèrent un plan de domination du monde par la langue. Voir à ce sujet les ouvrages du professeur Robert Phillipson.

Historien des sciences, académicien et philosophe, professeur à l'Université de Stanford, là où Margaret Thatcher avait s'était exprimée sur la dominance de l'anglais, Michel Serres a dénoncé l'usage abusif de l'anglais dans la publicité : "Je pense qu'aujourd'hui il y a sur les murs de Paris plus de mots anglais qu'il n'y avait de mots allemands pendant l'Occupation, et ça c'est quand même sous la responsabilité de ceux qui veulent bien le mettre, parce qu'il n'y a pas de troupes d'occupation aujourd'hui. Je les appelle des collabos"ix, et aussi son imposition : " ils [les Romains] nous ont imposé leur langue exactement comme aujourd'hui les vainqueurs et les collabos de la guerre économique nous imposent l'anglais"x.


Récemment, le 7 octobre, le sociologue Dominique Wolton, directeur de l'Institut des sciences de la communication du CNRS (ISCC), a attiré l'attention sur le danger d'appauvrissement de la recherche scientifique par l'anglais (émission
La tête au carré, France Inter, à partir de 22:32). Curieusement, la première chanson diffusée dans cette émission était... en anglais !


L'entreprise de décervelage fonctionne à fond, et les partis politiques sont totalement amorphes sur cette question. Il est temps d'y penser pour 2012.


Aucun candidat aux primaires socialistes n'a abordé cette question primordiale, alors que la langue de Davos et de Wall Street, la langue de ce système économique, la langue par laquelle ce système se renforce, est précisément l'anglais.

Le "tort", la "faute" du professeur François Grin, de l'Université de Genève, est d'avoir été honnête en évaluant trois possibilités dans la solution des problèmes de communication linguistique :

  1. le tout-anglais
  2. le plurilinguisme,
  3. l'espéranto

Le tout-anglais ?

"L’hégémonie linguistique (...) en faveur de l’anglais serait une fort mauvaise affaire pour la France ainsi que pour tous les États non-anglophones de l’Union européenne, voire au-delà des frontières de l’Union. Pourquoi ? Parce que cette formule donne lieu à une redistribution des plus inéquitables, à travers cinq canaux qui sont les suivants : 1) une position de quasi-monopole sur les marchés de la traduction et de l’interprétation vers l’anglais, de la rédaction de textes en anglais, de la production de matériel pédagogique pour l’enseignement de l’anglais et de l’enseignement de cette langue ;
2) l’économie de temps et d’argent dans la communication internationale, les locuteurs non-natifs faisant tous l’effort de s’exprimer en anglais et acceptant des messages émis dans cette langue ; 3) l’économie de temps et d’argent pour les anglophones, grâce au fait qu’ils ne font plus guère l’effort d’apprendre d’autres langues ;
4) le rendement de l’investissement, dans d’autres formes de capital humain, des ressources que les anglophones n’ont plus besoin d’investir dans l’apprentissage des langues étrangères ;
5) la position dominante des anglophones dans toute situation de négociation, de concurrence ou de conflit se déroulant en anglais."

Le plurilinguisme (ou multilinguisme) ?

"Bien au contraire, le brassage des langues et des cultures est de nature à diversifier les altérités linguistiques avec lesquelles tout un chacun entre en contact, et dès lors, c’est à nouveau l’anglais qui sera, le plus souvent, la langue qui garantit le maximin. Si cela se vérifie pour des contacts à Bruxelles, pourquoi des Espagnols feraient-ils l’effort d’apprendre le français, ou des Français l’espagnol, sachant que l’anglais peut tout aussi bien faire l’affaire ? À lui seul, ce plurilinguisme « orienté » n’a donc que peu de chances de freiner la dynamique du « tout-à- l’anglais » ou de restreindre l’ampleur de la redistribution inéquitable dont on a fait état." (p.69)

L'espéranto ?

"Les fréquentes réactions de rejet à l’égard de l’espéranto rendent impraticable la mise en œuvre à court terme du scénario 3. Il peut par contre être recommandé dans le cadre d’une stratégie de long terme à mettre en place sur une génération. Deux conditions sont toutefois critiques pour son succès : premièrement, un très gros effort d’information, afin de surmonter les préventions qui entourent cette langue — et qui sont en général basées sur la simple ignorance — et d’aider les mentalités à évoluer; deuxièmement, une véritable coordination entre États en vue de la mise en œuvre commune d’un tel scénario. Quatre-vingt cinq pour cent de la population de l’Europe des 25 y a un intérêt direct et évident, indépendamment des risques politiques et culturels que comporte l’hégémonie linguistique." (p. 6-7)

Le plurilinguisme ou le multilinguisme ramènent au tout-anglais du fait de leur lourdeur et de leur poids financier, surtout depuis la crise économique et financière de 2008. La religion linguistique du tout-anglais est si ancrée que toute remise en question expose à l'excommunication. L'espéranto comme alternative est comme un tabou religieux. L'ignorance générale de l'histoire de l'anglais, y compris par ceux qui le parlent, et des procédés qui ont été utilisés pour l'imposer au monde de façon tout à fait anti-démocratique, est si profonde, même chez les responsables politiques et les décideurs, qu'il existe un équivalent de "la foi du charbonnier" dans le domaine de la communication linguistique mondiale. Et il existe une ignorance semblable pour tout ce qui touche l'espéranto , à propos de laquelle le professeur Umberto Eco a dit “J’ai étudié la grammaire de l’espéranto - ça ne veut pas dire que j’ai appris à le parler - et j’ai constaté que c’est une langue construite avec intelligence, et qui a une histoire très belle.

Quelle "démondialisation" ?

Ce terme est-il vraiment adapté ? La mondialisation est-elle réversible ? La mondialisation que subissent tous les peuples est le fait d'une voyoucratie, de gens dont la seule patrie est l'argent. Le printemps arabe révèle une prise de conscience par rapport eu pouvoir. Le temps est venu de favoriser une convergence des luttes. Mais il y a la barrière des langues. Le slogan "Un autre monde est possible" a émergé voici une dizaine d'années, à Porto Alegre, une ville dont les plans furent établis par l'urbaniste français Alfred Agache, un locuteur et partisan de l'espéranto qui a fait aussi les plans de Canberra en 1912, de Recife et Curitiba et remodelé le plan de Rio de Janeiro de 1937 à 1932, où il existe une avenue Alfred Agache . A Porto Alegre, en 2001, il ne s'agissait pas de démondialisation, mais plutôt d'une mondialisation à visage humain. Cela n'a rien à voir avec la chanson "changer le monde" (Paroles — censurée sur horreursmusicales.net et musique.fluctuat.net) : chantée par des personnages emblématiques de l'UMP, parmi lesquels les principaux participants à l'écrasement du français, notamment Valérie Pécresse, Xavier Darcos, Xavier Bertrand, Christine Lagarde, une chanson à propos de laquelle l'UMP Luc Ferry, avait dit" C’est dégoulinant de bêtise, ça me fait de la peine que le show-biz le plus bête, le plus médiocre s’introduise dans la politique, c’est à vomir."

Gandhi et son disciple Vinoba Bhave, le grand réformateur indien, s'étaient exprimés en faveur de l'espéranto. Bien que maîtrisant l'anglais, Gandhi était opposé à sa domination (Gandhi et l’anglais).

La dérive anglomaniaque est le principal vecteur et le moteur linguistique de la mondialisation sauvage. Claude Allègre (Carpette anglaise 1997, qui avait lui aussi répondu négativement à une question sur l'enseignement de l'espéranto) et Pierre Moscovici s'étaient étonnés de cette évolution sans prêter attention au rôle de la langue : "Les motifs d'inquiétude et d'angoisse ne manquent pas quant à l'avenir et au rayonnement de notre culture face à ce que MM Claude Allègre et Pierre Moscovici ont appelé cette extraordinaire machine d'invasion intellectuelle que constituent désormais les États-Unis" ( Conclusion de l'avis n° 1863 (14.10.1999) de la Commission des Affaires étrangères sur le projet de loi de finance pour 2000).

En fin de compte, François Baroin ne devrait pas être complexé de sa très mauvaise connaissance de l'anglais.xi Jeune et plein d'avenir, il a encore le temps d'y réfléchir.

La France peut gagner la sympathie, l'amitié, le respect des citoyens des peuples de tous les pays du monde en s'engageant elle-même sur le chemin d'une politique linguistique internationale équitable. Il s'agit là d'une démarche essentielle pour contrebalancer cet ordre dont les piliers sont le dollar et l'anglais. Parmi les serviteurs zélés de cet ordre, il y a entre autres Silvio Berlusconi dont le slogan de campagne pour se faire élire en 2001 avait les 3“I“ pour symbole ("Inglese, Internet e Imprese" = langue anglaise, Internet et Entreprise) et pour qui le 2 “B“ ("bunga bunga") importe plus que la justice sociale et le sort du peuple italien.
Le PS, allié avec les Radicaux de gauche, était dans le vrai lorsqu'il avait déposé les propositions de loi visant l'introduction de l'espéranto à titre facultatif puis optionnel en 1976 puis 1979, enregistrées à l'Assemblée nationale sous les numéros respectifs 1667 et 1550.
Les trois derniers paragraphes de l'exposé des motifs disaient :
Son introduction dans l’enseignement public a fait l’objet de nombreux voeux exprimés par des membres de l’Institut de France, des savants et des linguistes, des hommes politiques et des enseignants de presque tous les pays du monde.
L’organisation progressive de son enseignement ne dépend plus présentement que d’une décision politique : il vous appartient, Mesdames et Messieurs, de prendre cette décision qui assure à la fois la sauvegarde et le rayonnement des différents patrimoines culturels de l’humanité dans une compréhension et coopération générales de tous les peuples.
N’est-ce pas à la France, dont le rôle humanitaire ne peut être contesté, de donner l’exemple en propageant l’étude d’une langue auxiliaire neutre, tant recherchée depuis des siècles, pour rendre faciles et meilleurs les rapports, à travers le monde, entre les hommes de toutes origines ?

Pour une mondialisation à visage humain, il faut commencer par donner aux peuples les moyens de bien se comprendre autrement que par la langue des maître de ce jeu.
Prix Kalinga de vulgarisation scientifique, la célèbre anthropologue étasunienne Margaret Mead avait plaidé pour une culture mondiale, ce qui n’a rien à voir avec une américanisation du monde : "Nous sommes arrivés au point où chaque pays est mis en danger chaque fois qu’un désastre s’abat sur l’un quelconque des autres pays. Il faut donc convertir cette interdépendance effrayante en un type de relations qui procure sécurité et joie de vivre". Il faut évidemment se garder de dénigrer systématiquement les États-Unis, et bien faire la différence entre, d’une part, le peuple — même s’il est en partie consentant — et d’autre part ceux qui font de ce pays non seulement le plus pollueur de l’environnement mais aussi un grand pollueur des esprits. Il y a danger pour le monde entier lorsque les citoyens du pays le plus puissant sont conditionnés à croire que tout ce qu’il fait est conforme à l’esprit de justice et de liberté, alors que cette liberté devient en fait celle du renard dans le poulailler.
Dans son livre "Face au néant", le journaliste et écrivain anglais d'origine hongroise Arthur Koestler s'était étonné d'une certaine inconscience linguistique : "Il semble encore plus étrange que, mis à part quelques espérantistes résolus, ni l’UNESCO ni aucun organisme international n’ait accompli un sérieux effort pour promouvoir une langue universelle"
En juillet dernier, la directrice générale de l'Unesco, Mme Irina Bokova, ex-ambassadrice de Bulgarie en France, a adressé un message d'encouragement au Congrès Universel d'Espéranto qui se tenait à Copenhague : “L’Unesco souhaite féliciter les espérantistes pour le travail considérable qu’ils ont fourni à travers le monde au cours des décennies passées. Le 96e Congrès mondial d’espéranto représente en ce sens une contribution de grande valeur dans la lutte pour la conservation et la promotion tant de la diversité linguistique que de la compréhension mutuelle.
Notes

i En espéranto sur WikiTrans, la version en espéranto de la Wikipedia en anglais traduite automatiquement par la firme danoise GramTrans.

iii Circulaire de Jean Zay, ministre de l'Éducation nationale, adressée aux recteurs le l1 octobre 1938 :

"Mon attention a été appelée à diverses reprises sur l'intérêt que présente, dès maintenant, et que présentera davantage encore dans l'avenir, la connaissance de l'espéranto, langueauxiliaire susceptible de faciliter les relations aussi bien entre les intellectuels qu'entre les commerçants et les techniciens des diverses nations.
J'ai l'honneur de vous faire connaître qu'il me paraît souhaitable de faciliter le développement des études espérantistes.
"

vi "International House bochure, 1979" : "Once we used to send gunboats and diplomats abroad; now we are sending English teachers". Cité dans "Linguistic Imperialism", Robert Phillipson (p.8).

vii à partir de 00:55 sur une vidéo du "Parisien".

ix France Info, 20 mars 2005, — chronique « Le sens de l'info » de Michel Polacco sur le thème — La langue française.

x France Info, 18 septembre 2011 — chronique « Le sens de l'info » de Michel Polacco sur le thème "Asterix".