D'abord, sur le plan linguistique, comme le montre cet exemple connu, l'espéranto a beaucoup moins d'homonymes que le français :

Il était une fois (fojo), une marchande de foie (hepataĵo) qui vendait du foie (hepataĵo) dans la ville de Foix (Foix — le nom n'est pas espérantisé). Elle m'a dit "ma foi (ja, vere, certe), c'est la dernière fois (fojo) que je vends du foie (hepataĵo) dans la ville de Foix (Foix)...

Plus sérieusement, c'est un article de Léon Tolstoï publié en 1895 sous le titre " Prudento aŭ kredo" (Le bon sens ou la foi) qui valut au premier et seul journal en espéranto d'alors — "La Esperantisto" (2/1895, p. 28-30) —, édité à Nuremberg, d'être interdit en Russie par la censure tsariste. Le fait que près de 75% des abonnés étaient russes entraîna sa disparition. La relève fut prise par la Suède, à Uppsala, par "Lingvo Internacia". Tolstoï, qui avait consacré à peine deux heures à l'étude de la grammaire de l'espéranto, assez pour comprendre la langue, en était devenu partisan. Dans une lettre aux éditions Posrednik, le 27 avril 1894, il avait écrit :

"J'ai trouvé le Volapük très compliqué et, au contraire, l'espéranto très simple. Il est si facile qu'ayant reçu, il y a six ans, une grammaire, un dictionnaire et des articles de cet idiome, j'ai pu arriver, au bout de deux petites heures, sinon à l'écrire, du moins à lire couramment la langue. (...) Les sacrifices que fera tout homme de notre monde européen, en consacrant quelque temps à son étude sont tellement petits, et les résultats qui peuvent en découler tellement immenses, qu'on ne peut se refuser à faire cet essai."

Gandhi, qui déconseillait l'anglais, bien qu'il le connaissait fort bien, avait dit à son ami Edmond Privat qu'il avait lu la grammaire de l'espéranto. Il l'avait trouvée si simple qu'il avait pensé pouvoir l'apprendre en 24 heures et il s'était exprimé en sa faveur : “Je suis pour un calendrier uniforme pour le monde entier, comme je suis pour une monnaie commune pour le monde entier et pour une langue internationale comme l'espéranto pour tous les peuples du monde“. Le grand réformateur social indien Vinoba Bhave, disciple de Gandhi, avait étudié l'espéranto. Il considérait le Dr Zamenhof comme un "mahatma" (un sage).

Dans le monde musulman, l'une des plus grandes figures de l'islam modéré en Iran, Kazem Shariatmadari, évincé par les extrémistes islamistes, avait déclaré à la revue "Esperanto", le 5 novembre 1997 : “L’espéranto n’est pas une religion, une philosophie ou une idéologie, et il n’est vraiment pas même une fin en soi, mais un moyen qui peut aider à la réalisation de la paix dans le monde et de la compréhension internationale. J’espère que tous les dirigeants du monde reconnaîtront la valeur de l’espéranto pour la compréhension internationale et leur responsabilité devant les peuples pour réaliser son potentiel“.

La foi du charbonnier existe pour l'anglais. Cette constatation a été faite en Corée du Sud, en particulier pour les enfants. Barbara Demick avait écrit, dans le “Los Angeles Times“ du 31 mars 2002 : “Parents are turning to specialty preschool and even surgery to give their children a linguistic advantage“ (Des parents se tournent vers une étude préscolaire et spéciale, même vers une opération chirurgicale, pour donner un avantage linguistique à leurs enfants). Des parents paient fort cher des chirurgiens pour une opération du frein de la langue afin de la rendre plus souple pour bien prononcer l'anglais. Ceci comme ailleurs on supprime le prépuce ou le clitoris. D'autres obligent leurs enfants de six mois à rester durant des heures devant des téléviseurs pour voir des vidéocassettes d'apprentissage de l'anglais.

D'après le quotidien coréen "Dong-A" : "L'anglais est en train de faire de l'enfance un enfer". Selon Jonathan Hills, enseignant d'anglais à la télévision nationale d'éducation : "Apprendre l'anglais est devenu la religion nationale". Dans un article intitulé “English fever' in South Korea : its history and symptoms“ (Fièvre anglaise en Corée : son histoire et ses symptômes) paru dans "English Today“, le professeur Jun-Kyu Park a utilisé les mots "linguistic surgery“ (chirurgie linguistique) (
PDF). Finalement, en plus d'être une croyance, c'est aussi une maladie qui a le même pays d'origine que la maladie de la vache folle...

En France, le ministre de l'éducation nationale actuel, Luc Chatel, né dans le Maryland et formé par les Jésuites du 16e, veut gaver le cerveau des enfants à l'anglais dès l'âge de trois ans, ce qui est l'une des formes les plus insidieuses du conditionnement, une façon de poser des oeillères, des filtres, afin qu'ils pensent et se conduisent "à l'américaine". L'enfant est condamné à entrer dans une langue comme dans une religion, sans avoir connaissance des tenants et des aboutissants. C'est infiniment plus grave que les publicités en anglais sur les murs de nos villes dénoncés avec vigueur et à juste raison par Michel Serres (voir : Du sens de l'info et du triomphe de la bêtise )

Un ami brésilien, qui a séjourné en Suisse et en France pour des congrès de technologie, et qui a participé aussi à de nombreux congrès internationaux d'espéranto, vient de me faire part de ce qu'il a vu à Grenoble, l'une des villes de France les plus contaminées par le tout-anglais, lors d'un congrès scientifique avec plus de 600 participants de nombreux pays. Il a eu l'occasion de participer à un séminaire où la plupart des participants étaient français : "Leur aptitude en anglais variait beaucoup, bien que l'anglais fût la principale langue dans ce laboratoire européen d'accueil financé sans doute par une quinzaine de pays de l'Union — j'ai remarqué une grande tension chez l'un des participants qui ne maîtrisait pas la langue bien qu'il travaille depuis peut-être dix années dans ce domaine spécialisé. L'une de ses joues tremblait continuellement durant son intervention, ce qui ne se produisit pas aux autres moments de la journée. J'ai pensé combien sa présentation aurait été meilleure si elle avait été faite dans sa langue maternelle (ou dans une langue auxiliaire internationale humainement neutre)".

En Corée, Kin Hiongun, un chercheur coréen, avait écrit en juin 1998, en réponse à une enquête de la BBC : "En Corée, nous avons dépensé des sommes énormes d’argent pour apprendre l’anglais. En calculant d’après mon expérience personnelle, j’aurais pu obtenir cinq doctorats si je n’avais pas été obligé d’apprendre l’anglais." (Enrique Ellemberg : “Around the World with Esperanto").

Les Suédois, qui ont été parmi les premiers en Europe à céder devant la pression de l'anglais, en raison de la proximité de la Grande-Bretagne et de la langue, et aussi d'une très forte émigration vers les États-Unis aux XIX et XXe siècles, se rendent compte qu'ils ont été pris dans un engrenage :

"Il y a une différence entre commander une bière dans un café en anglais et conduire des négociations autour de la table d'un conseil d'administration. Ceux qui peuvent utiliser leur langue maternelle dans leur travail peuvent le prendre en main, à la fois pratiquement et psychologiquement.
Nous, les Suédois, avons tendance à surestimer nos connaissances linguistiques, en particulier en anglais, mais nous sommes insuffisants lorsqu'il s'agit d'un raisonnement nuancé. Nous courons le risque de dire ce que nous pouvons mais pas ce que nous voulons." (Margareta Westman, une responsable du Comité linguistique suédois; "Svenska Dagbladet", 24.10.1993)

L'enseignement en anglais au niveau du lycée est une invention déplacée qui devrait cesser. Cet enseignement sera de plus en plus mauvais, car le professeur ne maîtrise pas l'anglais aussi bien que le suédois. Les professeurs ne sont pas aussi bons [en anglais] qu'ils le croient. Ils seront handicapés dans leur enseignement, comme s'ils avaient les mains liées dans le dos. (...)
Tous pensent que l'anglais est nécessaire et incontournable; à vrai dire, personne ne s'y oppose en principe. Au commencement, les contacts avec la langue internationale sont marqués du triomphe heureux de l'innocence : c'est si amusant d'être international, regardez comme nous sommes bons en anglais ! Ainsi, peu à peu, on prend conscience du problème : on devient un peu plus sot quand on ne peut pas utiliser sa langue maternelle." (Olle Josephson, chef intérimaire de l'Autorité linguistique suédoise du quotidien "Svenska Dagbladet"; rubrique "Språkspalten", 28.11.2001).

"Comme professeur de langues, j'étais très sceptique à propos de l'espéranto jusqu'à ce que je me trouve, il y a quelques années, devant un groupe de professeurs d'espéranto afin de faire une conférence sur la pédagogie des langues. Je constatai alors que cette langue que l'on dit "artificielle" était utilisée avec élégance par les participants entre eux et aujourd'hui -- après avoir été professeur depuis quatre ans à l'École Supérieure Populaire de Karlskoga, dans la section Espéranto —, je sais qu'elle fonctionne aussi bien que toute autre langue. (Lars Forsman, "Svenska Dagbladet", 15.11.1991).

Dans un autre pays de langue germanique, l'Allemagne, la firme Porsche a décidé d'abandonner l'anglais pour la communication interne. Mais, là aussi, il y a des tabous : "Schlechtes Deutsch besser als gutes Englisch" (Plutôt un mauvais allemand qu'un bon anglais" ("Süddeutsche Zeitung", 11 mars 2008). Combien de Français en ont eu connaissance par leurs médias ?

Voilà où nous mènent le politiquement correct, la foi du charbonnier par rapport à l'anglais.

"Quand on a la foi, on peut se passer de vérité." (Friedrich Nietzsche)