« Queer Lion » du Festival de Venise, Nuits d’été est un des ofnis (objets filmiques non identifiés) de ce début d’année.Un film d’une liberté folle, qui tisse une drôle de toile, entre drame bourgeois, comédie transformiste et numéros de cabaret. Il est l’œuvre d’un jeune réalisateur lyonnais, Mario Fanfani, qui n’avait jusqu’ici réalisé que des courts métrages pour la lutte contre le sida et que ce premier film installe esthétiquement quelque part entre François Ozon et Bertrand Bonello. Guillaume de Tonquédec, vedette de la très familiale série de France 2 Fais pas ci, fais pas ça, y fait une prestation hallucinante en notaire de province travesti, au milieu d’une troupe de comédiens épatants en drag-queens des années 50…
Tout cela méritait quelques explications. Mario Fanfani s’est fait un plaisir de nous les fournir.


Quel a été le point de départ de Nuits d’été?

Casa Suzanna, un livre de photographies américain montrant des hommes qui se réunissaient dans les années 50 pour prendre le thé ou jouer au Scrabble habillés en femmes. J’ai été fasciné par la densité de romanesque qui se dégageait de ses photos. Le plus surprenant étant, pour moi, que ces hommes, pourtant dans la transgression absolue, reproduisaient dans leurs postures un modèle féminin très traditionnel, celui de la femme au foyer. Comme s’ils étaient à la fois en avance sur leur temps et en retard d’une révolution. Il y avait, me semblait-il, dans ce paradoxe matière à fiction.

Encore un film sur la « théorie du genre »?

La question agite beaucoup aujourd’hui, mais sa représentation n’est pas nouvelle.On n’a pas attendu mon film, ni celui de François Ozon (Une Nouvelle amie N.D.L.R) que je n’ai pas encore vu. Dans le théâtre de Marivaux, les personnages jouent déjà avec leur identité sexuelle pour déjouer les conventions sociales.Les femmes ne cessent de s’habiller en hommes et les hommes de tomber amoureux de ces femmes habillées en hommes…

Pourquoi avoir situé l’histoire dans les Vosges et dans les années 50?

La période m’intéressait car c’est une époque charnière dans laquelle les identités sont encore figées entre hommes et femmes.Mais les coutures commencent à craquer…Comme je ne voulais pas raconter l’histoire de Casa Suzanna (Hollywood a déjà un projet là-dessus) et que la question de l’identité était au cœur du sujet, j’ai situé l’histoire dans l’Est de la France.Une région qui a été tour à tour Allemande et française, où la bourgeoisie n’a cessé d’être brisée et où elle est moins sûre d’elle-même que, disons à Bordeaux, par exemple. Par ailleurs, je voulais un cadre forestier et celui des Vosges m’apparaît toujours un peu magique et effrayant.

Autre choix étonnant: celui de Guillaume de Tonquédec…

Il m’a été soufflé par la directrice de casting après que Mathieu Amalric se soit désisté. Je ne le connaissais pas du tout, car je ne regarde pas la télévision et je n’avais pas vu Le Prénom. Les essais qu’on a faits ensemble étaient extrêmement probants.Il s’est défoncé pour le rôle, n’hésitant pas à porter le corset et les talons des semaines avant le tournage, alors qu’il répétait un autre rôle. Du coup, son côté lisse m’inspirait par rapport à Amalric dont les fêlures internes sont plus apparentes…

Monter financièrement un tel film n’a pas dû être facile, si?

Étonnamment, ça n’a pas été si difficile que ça.Peut-être parce que j’avais pris la précaution de tourner, un an avant, un court-métrage d’une quinzaine de minutes en Super 8, dans lequel je faisais reproduire à une dizaine de personnes de mon entourage, travesties en femmes, les situations des photos de Casa Suzanna. Ca a servi de bande-annonce auprès des financiers pour leur donner une idée de ce que je voulais faire et de l’esthétique du film…

Les numéros de chant de cabaret que l’on voit dans le film existaient-ils ou ont-ils été créés spécialement?

Ce sont tous des créations originales.Pourtant, à part Zazie de Paris, qui est une véritable artiste travestie et qui chante « Youkali », la chanson de Kurt Weill à la fin, aucun des comédiens du film n’est travesti. Mais ils ont tous bossé comme des fous.Même les techniciens qui ont travaillé sur le film étaient épatés parce qu’ils voyaient sur le plateau.Je dois dire que, malgré les contraintes de coiffure, de maquillage et d’épilation intégrale, ça a été un tournage très heureux.Impliquant pour les acteurs, mais sans débordements d’affects excessifs.À la fin, pour fêter mon anniversaire, tout le monde est venu travesti, même les machinos…Je crois qu’ils en mourraient d’envie depuis le début! (rires).