« Et si on essayait d’être heureux?Ne serait-ce que pour montrer l’exemple » Empruntée à Prévert, la citation a marqué la cérémonie de clôture du Festival de Cannes 2012. Dans la bouche de Jean-Louis Trintignant qui, à 82 ans, y faisait un retour triomphal, ces mots prenaient tout leur sens.Dévasté par la mort de sa fille Marie en 2003, Trintignant avait trouvé refuge dans l’écriture et dans le théâtre, fuyant comme la peste le cinéma et ses projecteurs. C’est pourtant le 7e Art, qui lui offre, une fois de plus, les plus belles émotions et les plus hautes reconnaissances.Associé, avec sa partenaire Emmanuelle Riva, à la Palme d’or décernée au film de Michael Haneke Amour, l’acteur nous explique pourquoi il a accepté de revenir défendre un sujet aussi douloureux (la vieillesse, la maladie et la déchéance) et comment ce tournage a apaisé ses propres souffrances…

Pourquoi avoir accepté de revenir au cinéma après une si longue absence?

J’avais vu Caché, de Michael Haneke et ça m’avait plu énormément. J’étais avec des amis et le leur ai dit : «Je ne fais plus de cinéma, mais si ce type-là me propose un rôle, je le ferai ». Un an après, il cherchait un acteur de mon âge pour son prochain film et il m’a contacté.

Le scénario ne vous a pas fait peur?

Le sujet m’a fait très peur. Je savais que ça me serait très pénible, parce que ça me concernait de près. À mon âge, on s’attend forcément à avoir un problème de santé un jour où l’autre…Ce n’est pas comme s’il m’avait proposé un western.Des cow-boys je n’en connais pas et je n’en connaîtrai sans doute jamais! (rires)

Vous avez commencé par refuser?

Oui, après avoir lu le scénario, je lui ai dit que je ne le ferai pas et que je n’irais certainement pas voir le film puisque j’en connaissais déjà la fin. J’allais assez mal et je n’avais pas envie de rajouter de la souffrance à la souffrance, car je savais que le tournage me serait forcément pénible. Mais il parlait tellement bien du cinéma que je me suis laissé fléchir. Sa productrice m’a assuré que le tournage serait joyeux, car il a beaucoup d’humour. Effectivement, il se marre tout le temps.Nous, un peu moins, je dois dire (rires).

Le tournage a-t-il été pénible?

Difficile, mais pas pénible.C’est même sans doute le plus heureux auquel j’ai participé en 130 films. À chaque scène, on sentait qu’on faisait un beau film.Et c’est un beau film : je l’ai vu quatre fois déjà et je le trouve plus magnifique à chaque fois.

Vous ne tarissez pas d’éloges sur Michael Haneke…

Je pense, en effet, que c’est aujourd’hui le plus grand réalisateur du monde. Fellini est mort, Bergman est mort, il reste Haneke. Bien qu’ayant tourné avec Bertolucci, Truffaut, Kieslowski et quelques autres , je crois n’avoir jamais rencontré de cinéaste aussi accompli que lui. Il connaît tout du cinéma.

Vous en a-t-il redonné le goût?

Non, mon métier c’est le théâtre.J’y trouve plus de gratification.Le rapport au public est immédiat. Certains acteurs parviennent à voir le public derrière la caméra.Moi, je n’y arrive pas.Et puis après un tel film, je ne pourrai faire que moins bien.Je crois d’ailleurs que je n’en ferai plus.Sauf si Michael a besoin de moi pour un petit rôle, bien sûr (rires)

Seriez-vous prêt à refuser aujourd’hui encore Dernier Tango à Paris , Apocalypse Now et Rencontres du 3e Type?

Oui.Je ne regrette rien. Il y a d’autres films que j’aurais pu faire et que je n’ai pas fait.Ceux que j’ai faits me suffisent largement.

Quel souvenir gardez-vous de celui qui vous a rendu célèbre : Un homme et une femme?

Celui d’un tournage heureux. C’était presque un film amateur.On faisait tout, même les claps.C’était très amusant. Ca allait très vite, alors qu’au cinéma on passe un temps fou à ne rien faire et à attendre. Pour le tournage suivant (Ma nuit chez Maud d’Eric Rohmer N.D.L.R.), c’était tout le contraire.Le réalisateur était si directif et si bavard que j’ai dû mettre des boules Quies pendant tout le tournage pour le supporter! (rires)

Avez-vous suivi votre conseil de la cérémonie de clôture de Cannes : «Essayer d’être heureux » ?

Je vais vous dire : j’ai vraiment pensé à me suicider après la mort de ma fille. Et puis, je ne l’ai pas fait. Il y a neuf ans maintenant, et je suis bien obligé de reconnaître que, depuis, j’ai quand même connu de moments de grande exaltation.Comme avec ce film. Ce que voulait dire Prévert, je pense, c’est qu’on a tous des raisons d’être malheureux, mais aussi d’être heureux.On choisit plutôt de parler de nos malheurs que de nos bonheurs et on a tort. La vie serait plus douce si on parlait plus de nos joies que de nos peines.

Parlons donc de choses gaies : comment sera la cuvée 2012 du Rouge Garance que vous cultivez?

Excellente, je crois! Mais peu abondante.Il n’a pas plu quand il fallait et la récolte a été de 30 % inférieure à la précédente. On ne fera probablement pas plus de 100000bouteilles cette année.Mais ce sera largement suffisant pour se saouler, non? (rires)