La plus belle salle, la plus longue affiche ( 38 soirées), le plus gros budget (top secret), les plus grandes stars (Janet Jackson, Santana, Sting, Joe Cocker Lisa Minelli, Tom Jones, Bryan Ferry )… Le Festival d’été du Sporting (Sporting Summer Festival en monégasque) a de quoi faire des jaloux. Et il en fait ! Un peu moins depuis que son directeur artistique, Jean René Palacio est devenu aussi celui de Jazz à Juan et qu’il organise ainsi sa propre concurrence. Mais tout de même... Ce que l’on reproche surtout au Sporting, c’est d’attirer les plus grandes vedettes, grace à des cachets censément faramineux, et d’en priver ainsi le public azuréen au profit d’une minorité de nantis capables de payer 250, (voire 350 voire 500) euros par tête pour voir de près Janet Jackson, Johnny Hallyday ou Prince.

A cela, Bernard Lambert, patron de la Société de Bains de Mer (SBM) qui préside aux destinées du Sporting répond généralement qu’il a des comptes à rendre à ses actionnaires et qu’on ne peut pas faire n’importe quoi en matière de cachet. Mêle si le but du Sumer festival n’est pas de gagner de l’argent , il n’est pas question d’en perdre pour autant. Jean René Palacio, qui a avant d’intégrer la SBM a géré d’autres salles et connait parfaitement le marché du spectacle en France, fait de son coté remarquer qu’il n’est plus rare aujourd’hui de débourser 200 ou 300 euros pour de bonnes places de concert et que ce sont généralement celles qui partent le plus rapidement lors d’un show de U2 ou des Rolling Stones. Pour ce prix là, on a généralement droit à un fauteuil plastique à cent mètres de la scène dans une tribune de stade avec, le cas échéant, une coupe de champagne (en plastique également) et quelques petits fours tièdes.

Au Sporting, c’est, comment dire … autre chose. L’endroit déjà, est légendaire. Construit en 1931 sur la presqu’ile du Larvotto pour accueillir les galas d’été que la SBM offrait aux joueurs fortunés des casinos (Franck Sinatra s’y produisit ainsi que tout le gotha du jazz et du rhythm n blues) , le Sporting d’été a pris sa configuration moderne en 1974 au prix de travaux pharaoniques pour gagner du terrain sur la mer. Il comprend depuis la fameuse salle aux étoiles, lieu privilégié des concerts, spectacles et galas de charité, un casino, trois restaurants et le Jimmy’z, LA discothèque de la principauté. Le tout dans un bunker art déco caché dans la pinède et les jardins, entre ciel et mer. Remonter en voiture l’allée qui y mène donne déjà l’impression d’entrer dans la légende, pour peu que l’on ait pris soin de passer la voiture familiale au carwash, voire d’en emprunter une plus Monaco-compatible à un ami aisé.

A l’arrivée sous le auvent de la salle, passée la fontaine lumineuse, une armée de 15 voituriers s’empresse de vous débarrasser de votre tas de ferraille et d’aller la garer au parking souterrain (gratuit) comme s’il s’agissait d’une relique divine. A la sortie du concert, leur ballet est aussi impressionnant que la qualité du parc automobile, digne du Mondial de l’auto. Si vous voulez voir les derniers modèles Bentley, Porsche, Mercedes, Ferrari , Lamborghini, Bugatti (rayer les mentions inutiles) , c’est là qu’il faut être. Si, par contre, vous êtes venus avec la 4L fourgonnette du beau père entrepreneur de maçonnerie, c’est plutôt le moment de la soirée que vous risquez de regretter. Il est alors conseillé par l’étiquette de prolonger son séjour aux toilettes en attendant que les milliardaires en euros qui étaient vos voisins de tables aient quitté la place, généralement accompagnés de leurs jeunes et somptueuses troisièmes (ou quatrièmes) épouses élégamment dévêtues de robes couture affriolantes.

L’entrée dans la salle se fait par un hall de marbre un peu moins haut que la tour Montparnasse, dans lequel on peut admirer cette année une collection de disques d’or (l’an dernier c’étaient des guitares, l’année d’avant des photographies). Pendant que l’on hésitait devant son dressing sur le choix du costume (le noir ou le noir ? ) et de la cravate (où ai-je bien pu fourrer ce truc ?) , la brigade de Richard Orengo, le chef de salle, composée de pas moins de 110 serveurs (cent dix ! ) a dressé les tables comme pour le bal de la Croix Rouge. Chacune a son bouquet de fleurs et chaque convive son menu imprimé avec la date et le nom de l’artiste du jour. On pourra l’emporter en souvenir (youpi !). Ce soir, le chef Alain Cavanna et ses commis (70 personnes en cuisine) nous proposent « Fines tranches de culatello façon Riviera au caviar d’aubergine, rapée de truffes d’été , vinaigrette perlée » suivi de « Gougeonettes de loup et homard au cour bouillon étuvée de petits légumes maraichers, sauce champagne et sucs d’araignée de mer ». On finira sur une « symphonie de fruits d’été, sorbet basilic et vinaigrette d’abricot » (complétée, au café, de « mignardises et chocolats du Sporting Monte Carlo » pour les survivants). Ne me demandez pas comment il est humainement possible de servir, en même temps et avec le sourire, 900 ou mille couverts uniformément chauds et raffinés. C’est un mystère auprès duquel les grandes illusions de David Copperfield font figure de tours de cartes de première année de prestidigitation.

Si l’on revient à la question du prix des concerts du Sporting, il faudra décompter de l’addition celui du repas qui, dans n’importe quelle gargotte moins huppée, avoisinerait déjà les 100 euros par tête. Mais y ajouter par contre celui du vin (nom compris, compter 100 de plus). Signalons que la formule 1 boisson+concert est également envisageable et peut se révéler carrément avantageuse (80 euros environ). A ce tarif là on a encore droit au spectacle des immenses baies vitrées qui s’escamotent dans le sol, au toit qui s’ouvre et se referme à l’heure du concert comme celui d’un vaisseau spatial dans Star Wars, au feu d’artifice qui précède le show ainsi que, pendant le repas, à l’accompagnement musical live de l’excellent Sporting Orchestra de Ty Stephens (ambiance croisière assurée).

A ce stade, on en a déjà presque pour son bon argent. Si , en plus, votre artiste favori livre, sur scène, une prestation digne de sa réputation, on rentre dans la catégorie «soirées inoubliables». Le son et la visiblité de la salle comptent parmi ce qui se fait de mieux dans le genre. La programmation est très variée et finalement assez rock (on y a même vu Deep Purple, les Who et Alice Cooper), et les artistes savent que l’on attend d’eux un supplément d’âme. La plupart jouent le jeu, même si certains (on a les noms !) croient encore qu’ils ne sont là que pour distraire des joueurs préssés de retourner à leurs tables de casino et se permettent de snober leurs fans sur l’air de « les premiers rangs agitez vos diamants ».

Ces dernières années, on ne voit d’ailleurs presque plus aucun convive faire tourner sa serviette, geste qui constituait jadis le comble de la décadence rock’n’rollienne pour un concert monégasque. Désormais le public du Sporting applaudit et danse comme n’importe où ailleurs. Le Sporting est devenu une salle de spectacles comme les autres. Enfin , presque comme les autres…