Silhouette effilée surmontée d’un chapeau, débit hyperrapide et verbe haut : Keziah Jones n’a pas changé d’un iota depuis qu’on l’a découvert, il y a tout juste vingt ans, avec son tube planétaire Rythm is Love. Il faut croire que le rythme et l’amour conservent...
Avant de faire la clôture du Nice Jazz Festival, dont il découvrait le nouveau site, Keziah a accepté de reparler de l’incident qui l’a opposé il y a quelques jours à la police parisienne (1) et de regarder dans le rétroviseur pour mesurer le chemin parcouru depuis son arrivée en France, en 1991...


Vos récents démêlés avec la police ont fait couler beaucoup d’encre. Quel sentiment en gardez-vous?
Je dois dire «merci la police»! Grace à elle, je me sens enfin totalement intégré dans ce pays, où je vis pourtant depuis vingt ans.Si j’en crois les commentaires de mes fans sur Facebook, j’étais le seul à n’avoir jamais été contrôlé un peu brutalement...Ca fait de moi un vrai parisien.Il était temps ! (rires)

Blague à part, vous avez quand même parlé d’arrestation arbitraire et d’intimidation physique ?
Oui et même si je comprends les difficultés du travail de policier, je crois que de tels agissements n’ont pas leur place dans une démocratie.Vous savez, j’ai commencé à jouer dans le métro parisien au début des années 90. À l’époque, je ne me souviens pas avoir eu le moindre problème. J’ai hélas l’impression que ce ne serait plus possible aujourd’hui. Pas seulement à Paris, d’ailleurs.A Londres, ou aux États-Unis, c’est la même chose.On sent partout une droitisation des mentalités et un raidissement des politiques conservatrices. C’est pour cela qu’il est important pour nous les artistes de s’engager et de dénoncer les abus puisque nous jouissons d’une plus grande liberté d’expression.Je l’ai toujours fait et je continuerai à le faire.

Vous revenez d’Algérie.Qu’avez-vous pensé de ce que l’on a appelé le printemps arabe?
En tant qu’Africain, je me sens particulièrement concerné par tout ce qui se passe en Afrique du Nord. Je pense que ce que vous appelez le Printemps arabe s’étendra rapidement à toute l’Afrique. Les mécanismes sont les mêmes: des pouvoirs en place depuis trop longtemps, la dictature, la corruption, la misère, les enjeux pétroliers...La jeunesse n’en peut plus.Elle est prête à se soulever partout.

Quand vous-même étiez plus jeune, qu’est ce qui vous a décidé à devenir musicien?
À l’école, il y avait un vieux piano désaccordé sur lequel je tapais toujours sur les mêmes notes.Le son me faisait un effet particulier, indéfinissable.Jusqu’à ce qu’un jour, j’aie une illumination.C’était comme si je voyais la musique former une route devant moi.J’ai alors su très clairement que je devais prendre ce chemin.

Quelles ont été vos premières influences?
À la maison, mes frères et sœurs écoutaient beaucoup de soul music américaine.Mon père, dont j’étais très proche, écoutait plutôt de la musique traditionnelle africaine.La musique que je fais aujourd’hui, le blufunk, vient de ce mélange initial. C’est, à la base, une «africanisation» de la soul music américaine.

Avant vous, Fela Kuti a été le premier musicien nigerian à connaître le succès international.Fut-il une influence?
Majeure. On habitait le même quartier et je l’entendais parfois jouer en allant à l’école. Quand je suis allé la première fois en Angleterre avec mes parents, j’ai emporté une cassette de lui pour me rappeler la maison. J’ai pu le rencontrer un an avant sa mort.C’était un être exceptionnel.Le premier à oser sortir du rang.

Comment avez-vous finalement atterri en France?
J’avais négocié avec mon père deux ans pour essayer de percer, avant de reprendre mes études d’économie si ça ne marchait pas. J’ai commencé à jouer dans la rue à Londres, mais ça ne me menait nulle part et les deux ans étaient presque terminés.Comme je n’avais pas encore visité Paris, j’ai profité de mes derniers jours pour y faire un tour.En fait, je jouais dans le métro pour payer mon séjour. C’est là qu’un employé de maison d’une maison de disques m’a vu et qu’il m’a proposé d’enregistrer un album. C’est en France que tout a commencé pour moi.

À quand un nouvel album?
Je travaille depuis un moment déjà sur l’idée d’un concept album autour d’un super-héros africain pilotant un vaisseau spatial.Jusque-là, j’avais juste l’idée en tête.Maintenant, je commence à avoir la musique et les chansons qui vont avec.J’espère pouvoir commencer à enregistrer dès la fin de cette tournée pour publier l’album l’année prochaine. Ce sera très différent de ce que j’ai fait jusqu’à maintenant.

Comment avez-vous trouvé le nouvel emplacement du Nice Jazz Festival ?
J’ai regardé le show de Seal en arrivant: c’était cool. L’endroit me paraît vibrer plus que l’ancien site.On sent l’énergie de la ville autour.Ca me plaît bien.


(1) Contrôlé à sa descente de train sur le quai de la gare du Nord alors qu’il n’avait pas ses papiers sur lui, KeziahJones a été emmené au poste et retenu plusieurs heures avant d’être remis en liberté.