Grand Prix du Festival de Cannes 2010 (la Palme bis !), le film de Xavier Beauvois sur le massacre des moines de Tibhirine a laissé les festivaliers dans un état de béatitude proche de l'extase mystique. Ce n'était pourtant pas gagné d'avance : l'histoire était piégeuse (on ne sait encore pas aujourd'hui si les moines ont été victimes du GIA ou d'une bavure de l'armée algérienne) et l'overdose de bondieuseries, de chants liturgiques et de bons sentiments menaçait chaque plan. Pourtant, le réalisateur du Petit Lieutenant et de N'oublie pas que tu vas mourir, que l'on croirait volontiers touché par la Grâce, parvient non seulement à éviter tous les ecueils qui menaçaient son film, mais en plus à hisser le propos à une hauteur inespérée. Un quasi miracle !
Entamé sous une forme minimaliste et presque documentaire (liturgie, travail aux champs, réception des malades au dispensaire...), baigné dans divine la lumière du désert marocain où il a été tourné, le film prend progressivement une dimension plus spirituelle et culmine sur une scène (une cène?) sublime, au cours de laquelle, ayant fait le choix définitif de rester, rasserénés et prêts à l'inéluctable, les frères partagent le pain et le vin.
Filmée en une succession de gros plans sur le visage des moines, sur la musique de Tchaikovski (Le Lac des Cygnes) pendant qu'un hélicoptère tourne au dessus du monastère dans un fracas d'enfer, la scène- éminemment symbolique- permet, en outre, au réalisateur de laisser planer le doute sur l'origine des agresseurs. Le film aurait pu, et pett-être dû, se terminer là. Au lieu de cela, Beauvois a préféré filmer encore l'enlèvement des moines et leur disparition dans la neige et le brouillard. C'est peut-être la seule lourdeur de ce film en apensateur, qu'il faut absolument aller voir pour se convaincre à nouveau de la puissance évocatrice du cinéma lorsqu'il est conçu, non comme un simple divertissement, mais comme une œuvre d'art.



Interview

Xavier Beauvois : « La moitié de mon cerveau ne croit en rien, l’autre veut croire en tout »

Comment est né ce projet si différent du reste de votre filmographie ?

Ça a commencé par le coup de fil d’un copain, Etienne Comar, qui me disait avoir reçu un scénario intéressant et me conseillait de le lire. Il ne m’a avoué qu’après que c’était lui qui l’avait écrit ! J’ai aimé l’histoire et accepté de réaliser le film à condition de pouvoir retravailler le script. Je me suis laissé habiter par ces moines.

La préparation a-t-elle été particulière ?

Les acteurs sont allés pendant deux mois apprendre à chanter dans une église. Je les ai aussi envoyés en retraite dans un monastère. Ca avait plus de sens qu’une lecture dans un bureau. C’était déjà de la direction d’acteur. Comme cela, ils sont arrivés sur le tournage avec des liens forts : dès la première scène chacun a compris qu’il se passait quelque chose de fort.

Quel était le parti pris de mise en scène ?

En allant voir de vrais trappistes à l’abbaye de Tamié en Haute Savoie, en assistant à leur quotidien, j’ai réalisé que j’allais devoir mettre en scène une mise en scène, parce que tout rituel est déjà une mise en scène. Le point de départ était le respect de cette mise en scène -là.

Certains plans sont très « picturaux » …

Pour filmer le terroriste à moitié nu allongé sur une table d’auscultation, je pense forcément au « Christ » de Mantegna, à « L’incrédulité de St Thomas » du Caravage… Caroline Champetier, la chef photo, connait mes goûts et mes références en peinture , elle sait immédiatement comment éclairer la scène . Mais il ne faut pas en abuser : trop de références nuisent au film. Il faut juste rendre discrètement hommage aux gens et aux œuvres que l’on aime.

Vous êtes-vous posé la question de reconstituer le monastère en studio ?

Non c’était hors de question. Je ne fais pas du cinéma pour aller tous les matins à l’usine, mais pour découvrir de vrais endroits. On peut réussir de très beaux films en studio, mais je ne sais pas faire. Tout est artificiel, je n’y crois pas. Et si je n’y crois pas, le spectateur ne peut pas y croire. On a tourné au Maroc, pas pour des raisons de sécurité bien que la région de Tibhirine soit toujours sensible. D’ailleurs on n’a pas pu y aller en repérages. Mais cela faisait longtemps que je rêvais de tourner au Maroc. Il y a de très bons techniciens. En fait, ça a été plus facile qu’à Paris.

N’y avait-il pas un double risque à filmer la religion dans un contexte politique aussi troublé que celui des évènements dont le film s’inspire ?

Je n’ai pas eu l’impression de prendre de risques particuliers : au delà de la religion, le film parle de destins d’hommes. Sur le fond de l’affaire, je filme un drame pas un fait divers. C’est l’histoire de ces hommes qui m’intéresse, pas le contexte historique algérien. Du reste, on ne sait toujours pas qui les a tués, même si je penche plutôt pour la thèse de la bavure militaire.

Le rythme est très lent. Diriez vous que c’est un film exigeant ?

On est dans un monde de contemplation, c’était difficile de faire du montage cut. J ‘en ai un peu marre des films speedés. Greenzone, ça frôle l’épilepsie. Je pense que les spectateurs sont intelligents et qu’ils sont capables de faire un effort de patience pour aller vers ce film.

La fin dans la neige était-elle écrite ?

Comme on tournait à 1500 mètres d’altitude je savais qu’il pouvait neiger. Personne n’y croyait mais c’éest arrivé juste au moment où on tournait la scène de l’enlèvement des moines. Je me suis dit que ça devenait franchement surnaturel et j’ai modifié le plan de tournage piour filmer leur disparition dans le blizzard. Deux jours après, la neige avait disparu et on reprenait le tournage sous le soleil. L’équipe s’est dit qu’il se passait vraiment quelque chose de bizarre sur ce film. ça a été un état de grâce du début à la fin.

Pourquoi « dieux » au pluriel dans le titre ?

Ça ouvre le film à d’autres croyances et d’autres religions, pas forcément monothéistes. Et puis ces frères, pour moi, ce sont un peu des dieux. Je les ai Cannes-onnisés ! (rires)

Etes -vous croyant , l’êtes vous devenu?

La moitié de mon cerveau ne croit en rien, l’autre veut croire en tout.