« Journaliste et hors la loi » : le titre est accrocheur et sans doute Raoul Duke, double officiel d’Hunter Thompson, l’eut-il adoré. Mais il ne correspond pas tout à fait à la réalité du livre de William McKeen (1) qui postule que plus qu’un journaliste, Thompson était avant tout un écrivain. Ce qui n’est pas tout à fait la même chose on en conviendra.
D’ailleurs qu’elle œuvre journalistique mériterait 500 pages de biographie de son auteur? Celle d’Hunter S Thompson tient en quelques dizaines d’articles, les plus mémorables pour Rolling Stone, n’étant que des ébauches des livres à venir. L’autre, la vraie, est constituée de trois livres : Hell’s Angels, récit d’une immersion dans un gang de motards qui lui valut d’être roué de coups et laissé pour mort, Las Vegas Parano, vrai-faux reportage sur une course de moto dans le désert du Nevada transformé en virée droguée « à la poursuite du rêve Américain » et La Grande Chasse aux Requins, compte rendu féroce de la campagne présidentielle américaine de 1972 qui vit la réélection de Richard Nixon, une des bêtes noires de Thompson. Trois livres qui n’ont de journalistique que le prétexte. Il s’agit en fait de romans dont le héros (Raoul Duke) est journaliste (et effectivement hors la loi, puisque le plus souvent drogué jusqu’à l’os et/ou ivre mort). Avec le recul, on s’aperçoit, en effet, que le terme de « gonzo journalisme » créé pour tenter de définir le travail de Thompson ne s’appliquera jamais qu’à lui. Personne n’a réussi depuis à aller aussi loin dans l’auto fiction, et ce n’est pas faute d’avoir essayé...
Or donc, c’est d’un écrivain dont nous parle William McKeen, et d’un grand. Peut-être même s’apercevra-t-on, dans quelques années, que c’était un des plus grands génies littéraires du siècle dernier, tant sa prose logorrhéique et enflammée est originale dans sa forme, et tant elle colle à son époque sur le fond. Quelque chose comme le lien manquant entre Tennessee Williams et William Burroughs.
D’où l’intérêt d’avaler d’une traite les 500 pages de cette bio, à la fois complice et distanciée (car l’auteur a bien connu Thompson mais il est aussi universitaire), qui se lit d’ailleurs comme un roman : celui de la vie et de la mort d’un grand écricain Américain, déjà incarné par deux fois à l’écran de son vivant (par Bill Murray Where The Buffallo Roam et Johnny Depp dans Las Vegas Parano) et qui s’apprête à l’être une nouvelle fois (toujours par Johnny Depp dans The Rum Diary, adaptation de son premier roman longtemps inédit), trois ans après son suicide calqué sur celui d’un de ses maîtres, Ernest Hemingway.
(1) "Hunter S Thompson, journaliste et hors la loi" de William McKeen, ed Tristam, 485 p., 24 euros
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