En compétition avec Woody Allen pour le titre du « réalisateur le plus rapide de l’ouest », notre homme Clint revient, moins d’un an après le magnifique Gran Torino et juste quelques mois avant Hereafter, son prochain film en cours de tournage, que ce diable d’homme est bien capable de présenter à Cannes. Avec Invictus (titre tiré d’un poème de William Ernest Henley, la classe), Clint Eastwood s’intéresse, cette fois, au rugby et à Nelson Mandela.Curieuse association a priori, mais qui s’explique par un épisode méconnu de la biographie du grand homme.

En arrivant au pouvoir en 1994, après des années de lutte contre l’apartheid, émaillées de multiples séjours en prison (27 ans au total), Nelson Mandela trouve un pays profondément divisé. Le hasard fait que l’Afrique du Sud a été choisie, avant son élection, pour accueillir la Coupe du monde de rugby de 1995. Mandela sent tout de suite que cet événement pourrait constituer une formidable opportunité pour souder son pays autour de l’équipe nationale.
Le problème, c’est que les Springboks, longtemps boycottés par les instances sportives internationales à cause de l’apartheid, sont loin d’avoir le niveau requis pour se mesurer à l’élite du rugby mondial.Pire, l’équipe, qui a toujours été pour la majorité noire du pays le symbole de la domination blanche, est haïe par une grande partie des Sud-Africains. L’une des premières décisions de la nouvelle administration des sports est d’ailleurs de débaptiser l’équipe et de changer ses couleurs.Mandela, contre l’avis de ses plus proches conseillers, s’y oppose et invite au contraire ses concitoyens à soutenir leur équipe. Il trouve un allié précieux en la personne du capitaine des Springboks, François Pienaar, un Afrikaner pourtant issu d’une famille très conservatrice, qui comprend, lui aussi, l’enjeu politique que représente cette coupe du monde. Pienaar va galvaniser son équipe au point de lui faire gagner la coupe, au terme d’un combat homérique contre les surpuissants All Blacks, dans un stade rempli pour la première fois par la « nation arc-en-ciel » révée par Mandela.

Une superbe réflexion sur l’exercice du pouvoir
C’est cette histoire formidable qu’a choisi de raconter Clint Eastwood dans Invictus, en se basant sur le livre de John Carlin « Déjouer l’ennemi ». Morgan Freeman, qui depuis longtemps cherchait à faire porter à l’écran la vie de Mandela, s’est fait un plaisir d’incarner le leader sud africain : « Quelqu’un avait demandé à Madiba (nom clanique de Mandela NDLR) par quel acteur il souhaiterait être interprété et il avait donné mon nom, se souvient l’acteur. Un grand honneur assurément ». « Je ne pouvais imaginer personne d’autre dans le rôle, affirme de son coté Clint Eastwood.Ils possèdent la même stature, le même charisme.Morgan a travaillé dur pour capter les inflexions de Mandela, et je trouve qu’il y a fort bien réussi ». Le résultat est effectivement impressionnant.On s’en rend compte au générique de fin lorsque les véritables images de l’époque défilent au générique : on croit encore voir Freeman alors que c’est le vrai Mandela qui est à l’écran!
La reconstitution de la finale de 1995 est également étonnante de réalisme. De vraies équipes ont été recrutées sur place pour former celles des All Blacks et des Springboks, ainsi que l’équipe de France que les Boks avaient éliminée en demi-finale. Matt Damon incarne François Pienaar, le capitaine sud africain devenu une figure emblématique de son pays. « Il n’a pas la taille de François, mais il possède la même ténacité et la même énergie, explique Clint Eastwood.Il a suivi un entraînement rigoureux qui lui a permis d’acquérir une forme d’enfer. Après cela, il nous a suffi de choisir les bons angles et les bons cadrages pour lui donner à l’écran les mensurations adéquates ».Pour remplir le stade d’Ellis Park pendant le tournage des scènes de match, 2000 figurants ont été embauchés, puis « multipliés » à la palette graphique.
Mais au-delà de la reconstitution, le film est surtout une superbe réflexion sur l’exercice du pouvoir, le leadership, la force fédératrice du sport et... l’identité nationale.
Certains stratèges politiques que ces questions démangent seraient bien avisés d’aller le voir.