1) Sensation du dernier festival de Cannes, le nouveau film de Jacques Audiard (Regarde les hommes tomber, Sur mes lèvres, De battre mon cœur s'est arrêté) a fait l'unanimité de la critique française et internationale : du jamais vu ! Sans l'insistance de la présidente du jury, Isabelle Huppert, pour octroyer la Palme d'or à son réalisateur favori Michael Haneke (Le Ruban Blanc), Un Prophète aurait probablement obtenu la récompense suprême. Il a d'ailleurs reçu le Grand Prix du jury, souvent considéré comme la « Palme bis ».

2) De la même façon, le jeune Tahar Rahim, révélation du film, a manqué de peu le prix d'interprétation (qui est allé à Christoph Waltz pour sa performance multilingue d'Inglorious Basterds). Nul besoin d'être prophète pour lui prédire à coup sûr un césar du meilleur espoir masculin.

3) Quelle que soit sa carrière en salle (on peut se demander si une sortie estivale est bien judicieuse pour un film de cette importance), le film de Jacques Audiard marquera l'histoire du cinéma français, auquel il risque de servir pendant longtemps de mètre-étalon, par son ampleur, son ambition et sa puissance créatrice.

4) Un Prophète est un grand film de prison et de mafia, mais pas seulement. Comme Matteo Garrone l'avait fait l'an dernier dans Gomorra (autre « palme bis » mémorable), Audiard évite le piège du film de genre en filmant l'univers carcéral avec un réalisme sidérant. Et, dans le même temps, il parvient à faire exister toute une galerie de personnages de pure fiction comme le vieux caïd effrayant, formidablement interprété par Niels Arestrup, le petit immigré débrouillard viscéralement accroché à sa survie (l'anti Tony Montana) et même un fantôme : celui du détenu assassiné, incarnation de la conscience du héros qui revient régulièrement le hanter.

5) La réussite de ce film violent, effrayant, mais finalement très humaniste, est de rester aussi éloigné de Scarface que de Mesrine, en combinant pourtant le meilleur de leurs qualités respectives. On y croit, on tremble, on suffoque, mais jamais on n'oublie que c'est du cinéma. Du grand.