Le Bleu Pétrole s'est changé en noir d'encre: Bashung est mort. On avait beau s'y préparer, l'écrire noir sur blanc oblige à mesurer déjà l'ampleur de la perte. Comme d'écrire Gainsbourg est mort, Desproges est mort, Coluche est mort. Putain de camion, putain de crabe...
Bashung donc: chronique d'une mort annoncée. Peu d'artistes, sans doute, ont joué comme lui avec l'idée de leur propre mort. Des concerts de la "tournée cancer", assurés entre deux chimio et formidables de tension dramatique - comme cet été à Nice, où il était apparu tel Nosferatu tout de noir vétu sous un chapeau masquant son crane nu-, jusqu' à son apparition fantomatique des Victoires, où éclipsant de son ombre de géant ses concurrents dérisoires il est venu ramasser ses trophées avant de nous souhaiter, en guise d'adieu, une année lumineuse. On savait déjà qu'on ne le reverrait pas.
Je réécoute aujourd'hui son dernier disque, le crépusculaire "Bleu Pétrole", en y relevant les allusions faites à sa maladie et à sa probable disparition. Des "atomes" de la chimiothérapie dans "Résidents de la République" ("Un jour je voguerai moins/peut-être le jour où la terre s'entrouvrira") au "Grand terrain de nulle part avec de belles poignées d'argent" de "Comme un Lego", où ce géant blessé se décrivait « comme un insecte sur le dos ». En passant par ce "Trapèze", où il flirtait avec la rime du mot mort sans jamais le prononcer. "Peut être que la nuit le monde fait la trêve et qu'aujourd'hui ton sourire fait grève" , dit-il nous laissant désormais seuls sur le trapèze. Aujourd'hui, Gaby est orpheline et mon sourire fait la grève.