« Bête et méchant» ! Le slogan claquait à la face de la France gaullienne comme la bande annonce de tous les délires de mai 68. Son inventeur, François Cavanna, se souvient d'ailleurs avoir pensé «Mais c'est à nous ça!», en voyant fleurir sur les murs de Paris les slogans du printemps révolutionnaire.
«Nous», c'est à dire la petite bande d'allumés anarcho-grivois d'Hara-Kiri, dont l'éditeur Hoëbeke vient de publier «les belles images» . «Les dessins ont été repris partout, mais jamais les photos. Or, ce qui faisait l'identité du mensuel c'étaient justement les photos», remarque Henri Roussel, alias Delfeil de Ton, l'une des rares «plumes» du journal à avoir survécue à celle, torrentielle et envahissante, de Cavanna.
Sur le sofa d'un beau salon parisien, les deux compères, un peu décatis mais l'esprit toujours vif, se souviennent de la saga Hara-Kiri: un cas à part dans l'histoire de la presse française.
«Aujourd'hui, on a un peu l'impression d'être des monuments historiques, mais à l'époque on nous méprisait, se souvient Cavanna. On aurait préféré qu'on nous aime vivants». Lorsqu'après moults interdictions, procès et polémiques, le journal jeta l'éponge en 1985, après un quart de siècle de provocs et de flinguages tous azimuts, il ne se trouva, en effet, personne pour le sauver. «La gestion de Choron était catastrophique, reconnaît Cavanna, mais sans lui on n'aurait jamais pu faire ce qu'on a fait».

Violemment parodique
Cavanna attribue, en effet, «50% de la paternité» d'Hara-Kiri à Georges Bernier, ancien responsable des ventes de leur précédent journal (Zero), devenu la figure tutélaire du titre sous le nom du professeur Choron. Ses fameuses «fiches bricolages» fournissent quelques-unes des meilleures pages de cette anthologie.
Comme des gamins espiègles racontant leurs coups les plus pendables, Cavanna et DDT se marrent encore à l'évocation du «makin of» de leurs coups les plus fumants , comme le fameux «Bal tragique à Colombey « pour la mort du général de Gaulle, l'élection de Miss Boudin (réalisée en boudin véritable), le trou dans la dernière page pour mater les filles (ou la transformer en cyclotron) et la «Der papier peint» : «Il suffisait d'acheter quelques centaines de numéros pour retapisser son salon».
«J'ai souvent vu les jeunes du journal se rouler parterre de rire devant ces adultes , leurs patrons, déconnant à plein tube» affirme DDT qui considère Cavanna comme «Le plus grand rédacteur en chef du XXe siècle». C'est vrai que l'homme avait le chic pour détecter les talents dans l'œuf: Reiser, Cabu, Gébé, Vuillemin , Fred, Wolinski et Willem, entre autres, peuvent en témoigner.
Pourrait-on encore oser pareil journal aujourd'hui ? «Mais on ne pouvait pas non plus à l'époque ! s'étrangle Cavanna. On est la preuve que ce n'est pas infaisable, c'est seulement in-fait».
Pas tout à fait quand même: les «Hara-Kiriens» se trouvent de dignes successeurs dans l'équipe de Groland (Canal Plus) et sur Internet, où l'humour scato, anti consumériste et violemment parodique d'Hara-Kiri a fait florès. «La différence, admet Cavanna, c'est que, nous, il fallait qu'on en vive. On était grassement payés quand le journal marchait (le tirage est monté jusqu'à 250 000 exemplaires), mais ça n'a duré que trois ans sur vingt-cinq. Le reste du temps, on tirait le Diable par la queue».


. Hara-Kiri, les belles images aux éditions Hoebeke 32 euros et Cavana raconte Cavanna hors série Charlie Hebdo dans le cadre de l'exposition consacrée à l'auteur par sa ville natale Nogent sur Marne jusqu'au 31 mai 2009 (78 pages 6 euros)