Message à destination de nos lectrices : oui, oui Julien Clerc est aussi beau qu'à la télé. Plus, si possible. Non, non, il ne fait pas du tout son âge. À 60 ans, Julien Clerc en parait facilement 20 de moins sans sembler faire le moindre effort pour cela, sinon vestimentaire. Il débarque dans le café en bas de chez lui, dans le 6e à Paris, en pantalon kaki multipoches, sweater à capuche et Converse arty, enlève les écouteurs du walkman des oreilles et s'installe dans un coin pour parler de son nouvel album (1).
Et, oui, oui, Julien Clerc est, au naturel, aussi souriant, chaleureux, charmeur, serein qu'on se l'imagine… Bon, on peut commencer maintenant ?
Comment se déclenche, chez vous, l'envie de faire un nouvel album ?
L'envie de refaire de la scène peut être un déclencheur et dans ce cas-là on s'organise un peu en fonction de la disponibilité des salles. Mais le plus souvent, c'est la maison de disques qui m'appelle pour me dire que ce serait bien si on sortait un truc bientôt. Ca reste quand même assez cool, de toute façon. On n'est pas comme des couturiers à devoir sortir deux collections par an. Il se passe toujours deux ou trois ans entre chaque album. Quand on s'y met, il faut oublier ce qu'on a fait avant, faire abstraction du passé autant que possible. En général, je ne me prends pas trop la tête avec ça. J'aurais du mal à jouer l'artiste maudit Créer n'est pas une souffrance pour moi. J'aime chanter et les mélodies me viennent comme ça. Ma vie est organisée en fonction de mon métier. J'ai toujours eu mon piano au milieu de la maison, les enfants jouaient dessous pendant que je composais ou que je chantais. Et puis, il y a l'idée qu'on le doit à son public et, quelque part, à la culture de son pays, sans vouloir faire de grandes phrases. Comme dit Aznavour : nous sommes des gens de chansons et de devoir ! (rires)
Le nom d'Aznavour revient souvent dans vos interviews...
Dieu merci Aznavour existe ! C'est un grand exemple en matière de construction de carrière sur la durée, de fidélité au public et de vie personnelle. Et puis, avec l'âge, on s'identifie plus facilement à lui qu'aux artistes rock maudits qui généralement ne font pas long feu…
Vous vous imaginez encore sur scène à son âge ?
Ca dépendra évidemment de mes dispositions physiques, de ma voix et de ma capacité à créer, à me renouveler. Mais l'exemple d'Aznavour montre qu'on peut toujours continuer à progresser
Que vous ont appris vos quarante années de carrière ?
À gérer mon temps et mon capital, qui est ma voix. Que l'inspiration aussi ça se travaille. Qu'il ne faut pas se disperser, ni se laisser encombrer par les choses qui vous empêchent de créer, comme l'argent qu'on a ou qu'on n'a pas…
Qu'avez vous fait de celui que vous avez gagné ?
J'ai bien vécu et je me suis organisé pour ne pas devenir un vieil artiste dans le besoin. Je n'ai pas investi dans des affaires, comme d'autres, car je ne voulais pas me disperser. Et puis j'ai payé mes impôts assez scrupuleusement. Mon comptable me dit que je dois être l'artiste le plus scrupuleux du métier sur ce plan-là. Mais j'estime qu'on a beaucoup de chance de bien gagner notre vie et que la moindre des choses c'est de payer honnêtement ses impôts. Et puis j'aurais trop peur si je trichais d'être emmerdé à cause de ça. Ca fait partie des choses qui pourraient m'empêcher de faire mon métier d'artiste correctement.
Jugez-vous votre vie d'homme aussi réussie que votre vie d'artiste ?
J'ai l'impression d'avoir eu plusieurs vies. Disons que j'ai essayé de rester digne partout, de donner le moins mauvais exemple possible à mes enfants, de leur laisser quelques principes utiles. Aujourd'hui, j'ai le sentiment d'être arrivé à mieux me connaître et à mieux comprendre les autres. Curieusement, ce métier peut aussi bien vous faire devenir totalement mégalo et vous isoler complètement que vous donner une conscience accrue des autres et vous pousser à vous ouvrir à eux.
Votre récente paternité a-t-elle eu une influence sur la conception de l'album ?
Il y a cette chanson, « Dormez », que j'ai commandée à mon ami Maxime Le Forestier pour parler de ça. Comme j'essaie d'éviter au maximum la « pipolisation », c'est une façon de partager bonheur avec mon public sans trop m'exposer. Sinon, le ton général de l'album m'échappe toujours un peu. Il dépend surtout des textes que m'écrivent mes auteurs. Sans doute puis-je leur inspirer des choses à certains moments. Je suppose qu'ils écrivent aussi en pensant à l'interprète. Mais, souvent, ils vont bien au-delà de ce que je suis ou de ce que je pense. « Femmes, je vous aime », j'aurais jamais osé écrire un truc pareil. Idem pour « L'assassin, assassiné » que je trouve toujours un peu trop premier degré, même si elle a peut-être servi à l'abolition de la peine de mort.
On s'étonne toujours, vous l'enfant de 68, de vous voir si peu vous engager…
Les cheveux longs, « Hair », tout ça, c'était l'air du temps, pas la manifestation d'une revendication quelconque de ma part. À l'époque, je commençais à travailler et j'étais à fond dedans. Etienne (Roda-Gil, son parolier historique disparu l'an dernier NDLR ), qui venait d'un milieu plus modeste, lui, allait dans les manifs. Il m'écrivait des textes qui pouvaient passer comme engagés et ça me suffisait largement. Je n'ai pas ressenti le besoin d'aller sur les barricades. Mes engagements, aujourd'hui, sont humanitaires et artistiques. Les Restos du Cœur, pour moi, c'est très cohérent : je fais l'artiste et du bien en même temps. C'est idéal. Idem pour le téléthon, que j'ai accepté de soutenir cette année. Mais, même si la politique m'intéresse, j'estime que mon rôle en tant qu'artiste est plus de rassembler que de diviser. J'évite donc de prendre parti publiquement. Vous savez, mon père était un gaulliste pur et dur, ma mère une communiste militante. Ca m'a conduit à relativiser la chose politique…
Comment envisagez-vous la scène pour ce disque (2) ?
On va essayer de prolonger l'esprit intimiste de la dernière tournée dans les grandes salles. Plus de musique que de show. Un truc de proximité. Je vais décliner 40 ans de chansons et j'ai un répertoire qui permet de s'amuser sur scène avec des musiciens qui sont tous multi-instrumentistes.
Comment choisissez vous les titres que vous allez chanter ?
Les nouveautés, ça plaît surtout à l'artiste. Le public, lui, préfère les chansons qui sont en résonance avec sa propre vie. Je prends un quart de nouveaux titres et le reste dans le répertoire. Il y a, dans mon tour de chant, des rendez-vous totalement incontournables, comme « Femmes, je vous aime » ou « Ma préférence », et puis des chansons de « deuxième ligne », dans lesquelles je peux piocher ou retrancher sans que le public se sente lésé. Je m'arrange pour que les gens aient toujours l'impression d'avoir écouté les chansons qu'ils aiment le plus.
Un commentaire sur votre amie Carla que vous avez fait débuter en tant qu'auteur et qui vous a encore écrit un très beau texte (« Déranger les pierres ») ?
Je trouve quelle trousse sa vie avec un grand succès. Son mariage était assez inattendu, mais elle gère bien son truc, avec la légèreté et la grâce la caractérisent. Elle mène sa barque à sa façon, en artiste. J'espère qu'elle pourra avoir une influence positive. En tout cas, elle est bien placée pour essayer.
(1) « Où s'en vont les avions ? » (Virgin).
(2) Julien Clerc sera en concert à Toulon (Zénith Oméga) le 30 janvier et à Nice (Nikaïa) le 31.
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