La nuit a été un peu courte et le réveil sera difficile ! J’arrive tant bien que mal à être prête pour dix heures. Le concept est très sympa : c’est un « Petit-déjeuner spectacle ». Nous prenons un plateau et nous servons sur de grandes tables gargantuesques : pain, croissants, pains au lait, beurre, confiture, thé, café, chocolat, jus d’orange… Nous nous installons ensuite autour de tables de six, disposées dans une salle, un peu comme dans un cabaret. Nous sommes ici pour voir le spectacle des Flanc-tireurs, un duo comique très marrant. Il y a beaucoup de jeux de mots, c’est dommage que Gino ne soit pas venu car je crois que ça lui aurait beaucoup plu ! (Gino passe son temps à faire des jeux de mots, souvent bien tirés par les cheveux !)


Les deux artistes ne sont pas très très réveillés et on sent qu’ils ont parfois du mal. Ils ne le cachent pas et en jouent, ce qui ajoute au comique de certaines scènes (dont une où ils doivent boire un grand verre de vin chacun…). Il faut dire qu’ils ont joué la veille au soir après le spectacle du cirque, donc un peu après 22 heures…


Je bosse tout l’après-midi, me voici repartie dans un de ces moments où j’ai tout plein d’idées vachement bien mais super longues à mettre en œuvre. Ça au moins, ça ne change pas par rapport aux années précédentes… Anaïs passe en fin d’après-midi pour me proposer d’aller voir un spectacle le soir mais, au vu du monticule qui trône sur la table du camion, je me dis que ce ne serait pas raisonnable du tout. J’ai encore du pain sur la planche, et nous devons dîner le soir, après ce spectacle, avec les bénévoles du festival. Je renonce donc à me joindre à eux et me remets au boulot. Un long moment plus tard, je réalise qu’il fait bien sombre dehors et que je ne suis pas allée vider les toilettes. Je me dis que ça me fera une petite pause et me dégourdira les jambes… La « petite pause » tourne vite au cauchemar !
Je savais bien que ces toilettes chimiques n’étaient pas mes amies, j’avais vu dès le départ leur air mauvais… Je ne m’y suis pas trompée ! Il fallait donc absolument que je les vide (ça faisait deux jours que je me disais ça…). Je prends mon courage à deux mains : Didier m’a montré la première fois, la deuxième fois je l’ai fait seule mais avec Carole à côté, « c’est bon, je maîtrise ! », me dis-je. Première erreur : j’ai un peu trop attendu… Elles sont super lourdes et je galère pour les soulever. Je vous laisse donc imaginer pour descendre les cinq marches un peu casse-gueule du camion qui penche (du mauvais côté, évidemment !). Je vous rappelle au passage qu’il fait nuit. Heureusement, il y a un peu de lumière quand même autour du chapiteau (que je dois contourner car la bouche d’égouts est exactement de l’autre côté, par rapport à mon camion). Je porte mon précieux fardeau tant bien que mal jusqu’à la bouche d’égouts : ça tire bien comme il faut dans les bras et les reins, je n’ai d’autre solution que de plaquer la chose contre moi, en priant pour avoir bien bien fermé la trappe et pour ne pas lâcher prise au milieu du chemin. J’arrive à destination en pestant contre la guimauve que j’ai dans les bras et en me promettant de me mettre aux haltères. Je dévisse le bouchon et vide le contenu : jusqu’ici tout va bien. Carole m’a dit qu’il y avait un tuyau d’arrosage pour rincer juste à côté. Je le localise, le ramasse et essaie de l’allumer : rien. Je réessaie dans tous les sens, en poussant, tirant, dévissant : rien. La mort dans l’âme, je me décide à aller frapper à la caravane la plus proche : c’est celle de Bernard et Sylvie. Sylvie n’est pas là (elle est allée voir le fameux spectacle que j’ai abandonné). Bernard est là, il regarde quelque chose à la télé et me dit d’entrer. Moi : « Je ne peux pas ouvrir, j’ai les mains mouillées ! ». Il sort et, après que j’ai avoué mon problème, il m’explique tout en mimant le geste : « Mais si, c’est pas compliqué, regarde, il faut juste tenir le bout avec la main gauche et dévisser avec la droite ». J’enregistre ses explications, le remercie, retourne à mon tuyau et essaie à nouveau de l’ouvrir : toujours rien… « C’est bon, tu as réussi ? » me crie Bernard du seuil de sa caravane après deux minutes d’essais infructueux. J’admets, honteuse : « Bin… Nan… »
Il soupire, sort, vient me montrer et repart. Je rince les toilettes, lâche le tuyau dans l’herbe pour vider l’eau de rinçage, et là : pchiiitttt ! L’eau se met à jaillir du tuyau. Les chiottes (oui, à ce niveau d’agacement-là les toilettes deviennent des chiottes !) dans une main, je rattrape le tuyau et le plie pour arrêter l’eau. Non non, le réflexe n’est pas venu tout seul, j’ai vu Augustin faire ça un jour à Grenoble. Un des petits avait roulé sur un branchement avec son vélo et l’un des tuyaux s’était décroché. Je venais juste de sortir la tête par la fenêtre de mon camion et d’apercevoir l’eau jaillir quand Augustin était arrivé et avait eu ce réflexe. Je m’étais dit alors « tiens c’est pas bête, ça, je n’y aurait pas pensé ! ».
Mais revenons à notre épineuse situation. Dans l’état actuel des choses, je suis déjà contente d’avoir pensé à faire ça. Je vide donc l’eau des toilettes d’une main, en me posant la fatidique question :


J’observe le tuyau pour tenter de comprendre ce qui ne va pas : en retombant, l’embout qui règle le débit s’est cassé net dedans ! Grand moment de solitude…
Je me dis « Ce n’est pas possible, je ne vais quand même pas retourner enquiquiner Bernard encore une fois ! ». Mais après cinq minutes passées le tuyau à la main comme une poule qui aurait trouvé une brosse à dents, j’admets la terrible réalité : je ne vais pas passer la nuit coincée là, ni attendre que quelqu’un passe par là. Si si, je vais devoir le faire chier une fois de plus… Je longe sa caravane en traînant le tuyau (qui est bien lourd, au passage !) et je l’appelle timidement. Pas de réponse. Je toque contre la tôle.
« - Mais quoi, encore ?!
- Bin… Je ne comprends pas, j’ai juste posé le tuyau par terre et l’eau s’est mise à couler. »
Il pousse un profond soupir et sort pour la troisième fois (j’espère que ce n’était pas un film à suspense qu’il regardait !).
« - Mais c’est pas vrai t’es Miss Catastrophe toi ce soir !
- Je ne comprends pas, je l’ai juste posé… Regarde, je crois que le bout s’est cassé dedans…
- Ah merde… »
Il regarde dans le tuyau et confirme mon diagnostic : « Ah et puis il est bien coincé, dis donc ! Bon, tiens-le bien, je vais chercher un tournevis. »
J’obtempère et attends, penaude, mon méfait à la main. Je voudrais rentrer dans un trou de souris. Il revient rapidement avec un tournevis et décoince le morceau d’embout cassé et moins de deux.
« - Vas-y, tu peux lâcher, c’est bon.
- Merci Bernard…
Il s’éloigne.
- Et euh… Le morceau cassé du bout, j’en fais quoi ?
- Bin tu le mets à la poubelle ! »
Il rentre dans sa caravane, je jette l’embout cassé et repars, les toilettes vides à la main. Sur le chemin pour revenir au camion je sens les larmes monter. Je me sens nulle, archi-nulle, je suis un boulet même pas capable de vider ses chiottes sans provoquer une catastrophe, je voudrais disparaître. Je sais bien pourtant que dans quelques jours nous en rigolerons ensemble, mais là j’ai un peu de mal à prendre du recul. Je me fais le serment de ne plus rien boire ni manger jusqu’à la fin de la tournée. Ça va être difficile à tenir, je sais…


Épilogue de cette soirée pourrie : il n’aura finalement pas fallu attendre quelques jours pour en rire. J’ai hésité à aller au repas avec les bénévoles après cette mésaventure : le ventre complètement noué et le moral dans les chaussettes. Je me suis finalement mis un coup de pied aux fesses pour m’y rendre quand même en me disant que je n’allais pas ajouter l’impolitesse à mes défauts du jour. Je ne regrette pas : c’est Bernard qui raconte ça aux autres en rigolant, je comprends qu’il ne m’en voudra pas à vie de l’avoir dérangé trois fois de suite et d’avoir cassé l’embout. Didier me dit « Mais tu sais, même si tu vois que c’est trop lourd pour toi parce que tu as trop attendu, il ne faut pas que tu hésites à venir nous demander de l’aide ! » Ajoutez à cela un bon repas bien arrosé et avec une bande de joyeux drilles : ça va beaucoup mieux ! En revanche : deuxième coucher tardif (on a dû commencer à manger vers 23 heures !), et demain il y a école ! Encore un réveil difficile en vue ! ;-)