Le sujet est tout à fait d'actualité au vu des remous qu'il suscite encore dans la classe politique française. Il est extrêmement vaste, et il ne peut être question ici d'en cerner tous les aspects. En outre les définitions ont évolué au fil du temps. Il y a aussi la civilisation au singulier et les civilisations au pluriel. Mieux vaut se contenter d'en examiner un aspect.
De la Lune à la Terre "C'est un petit pas pour un homme, mais un bond de géant pour l'humanité"... A l'époque où l'astronaute étasunien Neil Armstrong prononça ces mots et planta le drapeau de son pays sur la Lune, le 21 juillet 1969, dans le cadre de la mission Apollo 11, les États-Unis, dont la statue de la Liberté est l'un des symboles, bombardaient allègrement le Laos. Ces bombardements ont commencé en 1964 et se sont poursuivis jusqu'en 1973. Dans toute l'histoire des bombardements aériens, aucun pays n'a subi une telle barbarie ne faisant pas la distinction entre populations civiles et forces armées :
"Plus de 2 millions de tonnes de bombes ont été larguées sur le Laos au cours de la « guerre secrète » de l'Amérique, entre 1964 et 1973. Au moins 30 % d'entre elles n'ont pas explosé, et des décennies plus tard, jusqu'à 80 millions de petites bombes à fragmentation non explosées sont dispersées dans le pays." (Laos : Le pays le plus bombardé au monde)Depuis les conquêtes coloniales jusqu'à "l'exportation" de la démocratie par les armes en Irak, en Afghanistan et ailleurs, la " civilisation" a eu le visage du pillage avec appui religieux aussi bien à l'encontre des Indiens d'Amérique du Nord que des civilisations Incas, Mayas, Aztèques. Aujourd'hui, sans compensation, des tribus indiennes où des populations sont dépossédées de leurs territoires et de leurs biens au nom de notre "civilisation", aussi bien en Amazonie qu'en Chine et autres pays.
C'est aux Cris (Cree ou Crees en anglais), une nation amérindienne autochtone du Canada et des États-Unis, que l'on doit ce magnifique proverbe d'homme civilisé :
"Quand le dernier arbre sera abattu, La dernière rivière empoisonnée, Le dernier poisson pêché, Alors vous découvrirez. Que l'argent ne se mange pas."Nous sommes capables d'aller sur la Lune (où il n'y a heureusement personne à "civiliser") alors que, sur Terre, nous sommes incapables de révéler le meilleur de l'être humain, de révéler ce qui serait un réel "bond de géant" pour l'humanité, un bond réel vers la civilisation.
Faut-il espérer qu'un jour des extra-terrestres réellement civilisés viendront civiliser l'humanité, et surtout ceux qui la conduisent vers l'autodestruction ?
Le monde subit aujourd'hui la langue d'un pays à propos duquel Albert Einstein avait écrit "Les États-Unis d'Amérique forment un pays qui est passé directement de la barbarie à la décadence, sans jamais avoir connu la civilisation", la langue du pays dont le "Décervelage à l'américaine" — selon l'article de Hebert I. Schiller, grand spécialiste des médias — fait tache d'huile sur le monde entier.
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"La civilisation est-elle distincte de la barbarie ou bien en est-elle à un stade avancé ?" Herman Melville
"Ce que les hommes appellent civilisation, c'est l'état actuel des moeurs et ce qu'ils appellent barbarie, ce sont les états antérieurs."
Anatole France
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L'espéranto face au monde "civilisé"
Fils du fameux peintre suisse Ferdinand Hodler, fondateur de l'Association Universelle d'Espéranto (UEA) et rédacteur de son organe "Esperanto", Hector Hodler réussit, durant la première Guerre Mondiale, à organiser un service de réexpédition du courrier entre les pays belligérants. Les lettres en espéranto arrivaient ouvertes à Genève, au siège de l’UEA. De là, il était renvoyé aux destinataires, si nécessaire avec leur traduction. Il reçut d’innombrables témoignages d’approbation provenant des tranchées des deux camps. Hodler avait appris la Langue Internationale comme lycéen à l’âge de 16 ans avec son ami Edmond Privat. Ils en furent les pionniers en Suisse.
Dans le numéro de janvier 1915, Hector Hodler publia un article qui mériterait une traduction dans toutes les langues et une diffusion aussi vaste que possible, en particulier dans les établissements d’enseignement :
“Nous avons le devoir de ne pas oublier... À côté de nos sympathies, nous avons des devoirs que nous impose notre qualité de locuteurs de l’espéranto... Le devoir de croire qu’aucun peuple n’a le monopole de la civilisation, de la culture ou de l’humanité... Le devoir de croire qu’aucun peuple n’a totalement le monopole de la barbarie, de la perfidie ou de la stupidité... Le devoir de conserver la prudence même au milieu des influences oppressantes des masses populaires... La parole est maintenant au canon, mais son tonnerre ne durera pas éternellement. Lorsque des centaines de milliers d’hommes coucheront dans les tombes militaires et lorsque les ruines chez les vaincus et les vainqueurs attesteront plus des progrès techniques que moraux de notre civilisation, alors on parviendra à une solution, et alors, malgré tout, les relations internationales s’établiront à nouveau, car au-dessus des nations, il y a cependant quelque chose. Si sur les ruines actuelles nous voulons construire une nouvelle maison, nous aurons besoin de ces travailleurs que n’effraieront pas les difficultés de la reconstruction. Nous, espérantistes, soyons l’embryon de ces élites. Pour accomplir dignement notre devoir, conservons notre idéal et ne nous laissons pas abattre par le désespoir ou le regret.”A la fin de la même année*, le Dr Zamenhof publia à son tour un article intitulé "Après la Grande Guerre : Appel aux Diplomates" :
“Lorsque cette gigantesque tuerie, qui déshonore si profondément le monde civilisé, prendra fin, les diplomates se réuniront pour essayer de rétablir les rapports entre les peuples […]Des références à la civilisation peuvent être trouvées aussi dans le statut de Sennacieca Asocio Tutmonda (Association Mondiale Anationale — SAT), fondée en 1921, dont la langue de travail est l'espéranto :Vous contenterez-vous de refaire et de recoller les morceaux sur la carte de l’Europe ? […]
Vous n’aboutirez à rien en refaisant la carte, car ce qui serait juste pour un peuple sera injuste pour tel autre. Sur chaque pouce de terrain, plusieurs peuples, et non un seul, ont peiné et versé leur sang. Aussi, si vous décidez que tel ou tel territoire revient à tel ou tel peuple, non seulement vous commettrez une injustice, mais encore vous n’éliminerez pas les causes d’un conflit futur.
Souvenez-vous que le seul moyen de réaliser la paix est d’abolir pour toujours la cause principale des guerres, survivance de la plus lointaine Antiquité pré-civilisée, à savoir la domination d’un peuple sur d’autres peuples."
"En un mot, SAT a pour but, par l’utilisation constante de l’espéranto et son application à l’échelle mondiale, de contribuer à la formation d’individus dotés d’esprit critique, capables de bien comparer, de comprendre et d’apprécier correctement des idées, des thèses, des tendances et par conséquent capables de choisir de manière autonome la voie qui leur paraît la plus directe ou la plus praticable pour la libération de leur classe et pour conduire l’humanité au niveau le plus élevé possible de civilisation et de culture."**L'élite du monde dit "civilisé" a regardé et regarde encore de haut l'idée de langue internationale anationale (non-nationale), neutre et équitable, même sur le plan linguistique. Ainsi, on trouve encore aujourd'hui des intellectuels pour dénigrer l'espéranto, le présenter comme une création artificielle, sans vie propre, bien que, dès le début du XXe siècle, le professeur Michel Bréal, pionnier de la sémantique, avait déjà pris la défense de cette langue en ces termes contre ses détracteurs :
“Ce sont les idiomes existants qui, en se mêlant, fournissent l’étoffe (de l’espéranto). Il ne faut pas faire les dédaigneux ; si nos yeux […] pouvaient en un instant voir de quoi est faite la langue de Racine et de Pascal, ils apercevraient un amalgame tout pareil […] Il ne s’agit pas, on le comprend bien, de déposséder personne, mais d’avoir une langue auxiliaire commune, c’est-à-dire à côté et en sus du parler indigène et national, un commun truchement volontairement et unanimement accepté par toutes les nations civilisées du globe."***---
** (...) "Unuvorte, SAT celas per konstanta uzado de racie elpensita lingvo kaj ĝia mondskala aplikado, helpadi al la kreado de racie pensantaj spiritoj, kapablaj bone kompari, ĝuste kompreni kaj prijuĝi ideojn, tezojn, tendencojn, kaj sekve kapablaj elekti memstare la vojon, kiun ili opinias plej rekta, aŭ plej irebla por la liberigo de sia klaso kaj forkonduko de la homaro al kiel eble plej alta ŝtupo de civilizo kaj kulturo."
*** "La Revue de Paris", janvier 1901.
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