L'expression « monstres sacrés » pourrait avoir été inventée pour ces deux-là. Voir débarquer dans la même pièce Robert de Niro et Al Pacino est un rêve de fan de cinoche. D'un coup, il y a comme un monde fou dans la pièce : Travis Bickle (Taxi Driver), Vito et Michael Corleone (Le Parrain 2), Jake La Motta (Raging Bull), Franck Serpico (Serpico), Sonny Wortzik (Un après-midi de chien), Tony Montana (Scarface) et Lefty Ruggiero (Donnie Brasco), les suivent de leur ombre éternelle. Pourtant, les héros sont fatigués et un peu décatis. De Niro, 65 ans, moche polo à rayures sous veste sombre, mains croisées sur la bedaine et sourire plissé, a l'air d'un plouc camorriste, tout droit sorti de Gomorra.
Surbronzé, amaigri, barbichu, cheveux brushés et teints, chaîne en or blanc pendant sur son tee-shirt noir Armani, engoncé dans un manteau long qui le fait paraître encore plus petit, Al Pacino, 68 ans, ressemble à L'Associé du Diable, sans le soufre. Il regarde sa montre et papillonne des yeux pendant l'interview, peut-être rattrapé par le décalage horaire. De New York, la promo du film de Jon Avnet qui les réunit, La Loi et l'Ordre, les a conduits à Londres puis à Paris.
OK pour Cannes
Al Pacino est tout de même celui des deux qui se prête le plus sérieusement à l'exercice. Entre deux absences, De Niro se contente, pour sa part, d'expédier des réponses toutes faites. Qu'il s'agisse de leurs carrières respectives, du film ou de leur vie aujourd'hui, impossible de leur tirer quoi que ce soit de vraiment personnel. Ils ne semblent jamais se départir du discours formaté de la promo. Tourner ce film, leur premier en duo (ils n'ont fait que se croiser dans Le Parrain 2, et n'avaient qu'une scène ensemble dans Heat), a été un « plaisir ». Jouer l'un avec l'autre était tellement « confortable ». Refaire un film ensemble ? « Cette fois, on n'attendra pas 40 ans »... Blablabla.
Rien sur les contrats qui exigeaient qu'ils aient rigoureusement le même temps à l'écran dans Heat. Aucune explication de leurs quarante années de carrières strictement parallèles. « On a failli tourner ensemble plusieurs fois et puis le temps est passé » concède seulement De Niro. De quoi se parlaient-ils entre les prises ? « Des enfants, de choses comme ça » (De Niro). Comment se préparent-ils à jouer ? « Quand il y a une grosse émotion sur une scène, le mieux c'est de passer la journée à rigoler. C'est crevant de travailler sur l'émotion » (Pacino)... Dans la bouche des deux acteurs qui ont le mieux incarné les techniques de l'Actor's Studio, mieux vaut sans doute entendre ça que d'être sourd.
De Niro ne semble se réveiller et manifester un minimum d'enthousiasme que lorsqu'on lui demande s'il est toujours candidat à la présidence du Festival de Cannes : « Bien sûr, j'adore Cannes ! En plus ça me permettrait de voir des films ». Mais il avoue aussitôt ne pas se souivenir de qui a eu la Palme cette année (Laurent Cantet pour Entre les murs) alors qu'il la lui a lui-même remise !
La Loi et l'Ordre dans tout ça ? Scénario convenu, réalisation de série TV, musique « d'jeune », casting racoleur (le rappeur 50 Cent dans un rôle de dealer)... Rien qui relève de beaucoup l'encéphalogramme désespérément plat de leur filmographie récente. Pourtant, force est de reconnaître que voir Al Pacino et Robert De Niro jouer ces deux vieux flics New-Yorkais revenus de tout, sans s'autoparodier, ni économiser leur présence à l'écran (ils sont dans toutes les scènes), est un plaisir qui efface toute prétention critique. Les héros sont fatigués, mais leur magie est intacte.