A20 ans, il a écrit «This Charming Man», la chanson qui a fait décoller les Smiths.A 54, le guitariste multicarte est devenu cet «Homme charmant» que chantait Morrissey.A Cannes Lions, où il était invité à parler de son dernier album, on aurait pu l’écouter pendant des heures...


Il est le seul Guitar Hero à avoir émergé d’une époque - le début des années 80- qui réfutait le concept.Première gâchette des Smiths, John Martin Maher, alias Johnny Marr, n’a pas eu à chercher du boulot longtemps, lorsque le groupe qu’il avait formé avec Morrissey a splitté, en 1987.Son jeu de guitare aérien a tellement influencé de monde (à commencer par Noël Gallagher d’Oasis) que pendant 15 ans, Johnny n’a fait que papillonner d’un groupe et d’un projet à l’autre: The The, Electronic, The Healers, Bryan Ferry, The Pretenders, Kirsty MacColl, Talking Heads, Black Grape, Billy Bragg, Pet Shop Boys, Beck, Oasis, Modest Mouse…La liste de ses collaborations se confond avec le Bottin du rock anglais des 25 dernières années. On lui doit aussi la mode des accords de guitare distordus dans les musiques de films et dans les pubs: c’est lui qui a lancé la vogue avec la B.O d’Inception.Depuis 2013, Johnny Marr s’est décidé à enregistrer sous son nom et, à part les fans hardcore de Morrissey, tout le monde s’accorde à dire que ses albums solos sont bien meilleurs que ceux de l’ex-leader des Smiths.Alors que son troisième effort (l’excellent Call The Comet) venait à peine de sortir, quelle ne fut pas notre surprise de croiser Johnny à Cannes Lions, le congrès mondial de la publicité, où il était invité pour parler de son parcours. Simple, ouvert et drôle (la chanson des Smiths This Charming Man devait parler de lui!) , Johnny a conquis les participants du congrès qui étaient venus voir la légende, dans l’espoir de ramener un selfie ou une dédicace. L’ex-Smiths n’en a pas été avare.Mais il était tout de même heureux de pouvoir parler à quelqu’un qui avait écouté son disque…

Qu’est ce qui a déclenché l’écriture de ce nouvel album?
J’ai écrit ma biographie en 2016, ce que je n’avais pas prévu de faire, et ça a ouvert les vannes. Quand tu commences à réfléchir sur ta vie, tout prend de l’importance soudain. Il y avait le Brexit, Donald Trump, le harcèlement sur les réseaux sociaux… J’étais en colère contre cette époque, mais je n’avais pas de solutions à proposer.Je me suis retrouvé comme quand j’avais 14 ans et que je commençais à écrire des chansons dans ma chambre.J’avais envie de fuir tout ça, exactement comme à l’époque j’avais cherché à m’évader de l’ennui de la vie de banlieue à Manchester.J’ai réalisé que mon talent de musicien et ma créativité m’avaient toujours servi à ça: créer un monde alternatif où je puisse me réfugier.C’est ce que j’ai fait avec ce disque.

Les chansons sont plus personnelles, plus intimes que sur les précédents.D’où ça vient?
J’ai toujours évité de parler de moi dans mes chansons, parce que je trouvais que les autres ne faisaient que ça. Avec les shows de télé réalité et les télés crochets, ça n’a fait qu’empirer.On dirait une compétition de sentiments: c’est à qui les exposera le plus. Je trouve qu’on manque cruellement d’abstraction et de mystère dans la pop.Pour cet album, je voulais vraiment aller dans cette direction… Mais les chansons refusaient de s’y plier! (rires) Elles demandaient des choses plus émotionnelles et personnelles, sinon ça sonnait faux. Des trucs comme «Hi Hello» ou «Walk Into The Sea», avant, j’aurais pensé que c’était trop personnel, trop intime.Mais là je me suis dit: «Fuck it! On s’en fout, du moment que la chanson est bonne». À un moment, on ferait n’importe quoi pour une bonne chanson! (rires)

C’est quoi «une bonne chanson»?
Quelque chose qui connecte. «Crazy in Love» de Beyoncé, ça tient juste sur le «ho ho ho/ho ho ho» du refrain et ça suffit pour en faire une grande chanson. Pas besoin de poésie profonde. Des fois, plus c’est stupide, meilleur c’est (rires). À côté de ça, tu as «Visions of Johanna» de Bob Dylan et c’est du Shakespeare… Le truc bien, avec la pop culture, c’est que tout ça cohabite à différents niveaux. Pas besoin de choisir son camp: on peut aimer les deux.
Quelles sont celles de vos chansons que vous préférez?
Celles qui m’ont donné le moins de mal à composer! (rires) «This Charming Man», par exemple, je peux me souvenir que j’étais au lit, il faisait beau, le soleil entrait par la fenêtre, le vent faisait bouger les rideaux… Je savais que je devais écrire parce qu’on avait un enregistrement de prévu, mais j’étais cool.Et tout est venu en 15 minutes, Un flash de pur bonheur! Parce que le plus souvent, quand même, tu galères, tu te relèves 50 fois pour faire du thé, et rien ne vient (rires). Picasso disait «L’inspiration existe, mais elle doit vous trouver en train de travailler». Je crois à ça: la muse ne visite pas les fainéants (rires).Ca me convient, parce que j’ai toujours eu une grande discipline de travail.En tournée, quand les autres sont partis s’éclater en ville, tu me trouves dans le tour bus à écrire ou à composer…
Ca a été compliqué de devenir le leader après avoir passé des années dans l’ombre d’un chanteur?
Pas facile, mais moins difficile que je ne pensais. Je suis dans des groupes depuis l’âge de 14-15 ans, c’est comme dans les mariages: tu espères que les mecs avec toi vont assurer en leur faisant croire que c’est toi qui fais tout le boulot! (rires). J’ai appris ça de Morrissey et Chrissie Hynde. J’applique la recette avec mon groupe.
Pourquoi avoir attendu si longtemps?
Quand j’ai quitté les Smiths, j’étais très demandé. Il suffisait que je me pointe quelque part pour qu’on veuille que je fasse les guitares.C’aurait été très impoli de dire non à des mecs comme Beck ou les Pet Shop Boys et de les planter là…C’est comme ça que je me suis retrouvé à bosser tout le temps pour les autres, au lieu de commencer un album solo. En fait, j’ai eu trop de chance! (rires)
Comment vous êtes vous retrouvé à travailler avec Hans Zimmer?
L’histoire est amusante.Je vais voir Kick Ass avec ma femme au cinéma et, avant le film, ils passent la bande-annonce d’Inception.Je me dis que ça a l’air bien cool…En rentrant à la maison, le téléphone sonne, c’est Hans Zimmer! Il me dit qu’il voudrait que je joue sur la B.O d’un film.Je lui réponds «Ok, c’est quoi? -Inception!» Je lui dis: «Va falloir se dépêcher alors, je viens de voir la bande-annonce au ciné!» (rires).Bref, le mardi suivant j’étais à L.A pour bosser là-dessus et c’était une des meilleures expériences de ma vie de musicien...