Comment se sent-on au lendemain de la publication de la sélection officielle?
Soulagé de l’avoir terminée et livrée dans les délais et fier de voir qu’elle a été très bien reçue, dans son esprit et sa composition, du moins. Après, comme on dit : « Tant qu’ils ont pas vu les films, tout va bien! » (rires)
Êtes-vous sensible à la critique?
Oui.Pas dans un sens émotionnel, mais je suis curieux voir si les risques qu’on a pris étaient les bons. Cette année, particulièrement, les films en sélection devraient être l’objet de beaucoup de discussions de cinéma, de controverses et de désaccords. Je l’espère bien d’ailleurs: j’adore la bagarre!
En présentant la sélection, vous avez dit avoir encore des doutes.Quels sont-ils?
L’exercice de sélection était d’autant plus difficile cette année que la précédente a été généralement considérée comme l’une des meilleures de l’histoire du Festival. Pourtant, lorsque je l’ai présentée, je n’aurais jamais pu croire que ce serait le cas. On avait confiance dans les films (on les aime toujours), mais on ne peut jamais présumer de la façon dont ils seront reçus. Cette année, j’ai l’impression qu’on a une sélection très forte, avec des objets de cinéma très étonnants, mais dont très peu vont sans doute faire l’unanimité. Mais je peux encore me tromper…
Pouvez-vous rappeler comment s’effectue la sélectionet quels en sont les principes directeurs?
Nous avons reçu, cette année, 1780 films environ.Traditionnellement, deux comités de trois personnes (un pour les films français, un pour les films étrangers), voient les films. Mais devant l’afflux des candidatures ces dernières années (tout le monde peut postuler à Cannes), j’ai mis sur pied un troisième comité composé de jeunes cinéphiles bénévoles qui font un premier tri dans les films dont les auteurs nous sont inconnus. On visionne à longueur de journées de décembre à mai.J’ai aussi un assistant qui ne voit pas les films jusqu’à ce que la sélection soit bouclée pour qu’il puisse discuter librement et sans affect avec les studios, les auteurs et les partenaires... J’ai coutume de dire qu’une bonne sélection, c’est une addition de bons films. Un bon film, pour nous, c’est d’abord un film qui donne de l’importance à la mise en scène. Le seul autre critère imposé, c’est l’équilibre géographique : on ne pourrait pas faire une sélection avec dix films américains et dix films français.
Internet et le numérique ne compliquent-ils pas la donne?
Si et de plusieurs façons. Avant, un John Woo pouvait faire des chefs-d'œuvre dans son coin à Hong Kong sans que personne le sache.Aujourd’hui, avec Internet, tout cinéphile un peu curieux pourrait le savoir.Et si son film n’était pas à Cannes, je me ferai engueuler. À l’inverse, ça facilite notre travail.On n’est plus obligés de faire le tour du monde pour voir toute la production locale en trois jours, comme on le faisait avant. On reçoit les films en format numérique et on les regarde au bureau. On continue de voyager, mais pour rencontrer les auteurs et voir les conditions de production.Il faut éviter que la sélection devienne une opération uniquement froide et virtuelle.
Il y a déjà eu des fuites sur le Web cette année.Peut-on craindre que le palmarès soit révélé avant l’heure, comme pour les élections?
C’est quasiment impossible. Le jury est enfermé toute la journée, on leur enlève leurs téléphones et ils ne quittent la place que pour se rendre à la cérémonie.On refuse même de donner le palmarès à Canal Plus qui la retransmet. On reste attachés au rituel et au secret.Je crois que les festivaliers aussi aiment bien ce côté conclave, avec la fumée blanche qui s’échappe à la fin…
Depuis que vous en êtes le délégué, le Festival s’est ouvert à d’autres formes, comme le film de genre, le documentaire ou l’animation.Ca a été difficile à imposer?
Non, car cela faisait partie de la feuille de route que m’a donnée Gilles Jacob : faire revenir les Américains et tout changer pour que rien ne change. À l’époque, programmer Shrek, c’était audacieux.Comme Tarantino, Michael Moore ou Drive, l’an dernier. Mais c’est passé parce que les films étaient bons, tout simplement.
Comment est né votre goût du cinéma ?
Par la télévision ! . Je crois avoir vu La Chevauchée fantastique de John Ford en salles avec mon père, mais ce sont des films comme les indomptables ou Luke la main froide qui passaient à la télévision et que tout le monde regardait parce qu’il y avait que 2 ou 3 chaines qui ont vraiment forgé mon goût pour le cinéma. Un film qui m’a beaucoup marqué ensuite c’est celui de Claude Miller Dites lui que je l’aime, c’est pourquoi je suis heureux qu’on lui rende hommage. Puis toute la génération des auteurs européens et le cinéma américain des années 70 . Je suis à la fois un enfant de la nouvelle vague, en particulier de Godard, et aussi de Sautet de Tavernier, de ce cinéma français des années 70 que j’aime toujours beaucoup.
Avez vous vu et aimé d'autres films cette année que ceux de Cannes ?
Oh oui. Je vais normalement au cinéma jusqu’en decembre-janvier, après je ne peux plus à cause de la sélection. J'ai beaucoup aimé The Descendants, Les adieux à la reine et Hugo Cabret, notamment.
Lars Von Trier reviendra-t-il à Cannes après son bannissement?
On va d'abord le laisser refaire un film pour être en situation d’y reflechir. Avec le recul je crois que nous avons reagi comme il fallait bien que l’affaire ait été déformée par rapport à la réalité. Pendant la conférence de presse, personne ne s’est levé pour crier au scandale: tout le monde avait conscience qu’il s’agissait de plaisanteries vaseuses. Lars ne peut pas etre antisémite, sa femme est juive, ses enfants portent des prénoms juifs... L'emballement médiatique disproprtionné lui a couté que le film soit mieux recu à Cannes où tout le monde l’adorait. C'est dommage. Peut etre qu’il aura pas envie de revenir, non plus? . Je dois le voir bientôt pour en parler...
Qui a pris la décision d'imposer finalement The Artist en compétition l'an dernier, alors que le film était programmé hors compète?
La règle c’est d'avoir au maximum 3 films français en compete. Dès le départ, je voulais ceux qu’on avait, plus The Artist. Mais j’avais peur qu’on me le refuse ou qu’il faille en éliminer un autre pour lui laisser la place. L’année d’avant, on m’avait interdit Carlos et ça m'avait refroidi. Comme The Artist était un film qui, au contraire des autres, se pretait très bien au hors compétition, je l’ai annoncé comme ça, avec l’idée de l’introduire au dernier moment dans la compétition si je voyais l'ouverture. C’est ce que j’ai fait avec l'accord de Gilles (Jacob) Et on a eu raison ! Je crois que ce petit suspens a d'ailleurs bien servi l’aventure du film.
Vos rapports avec la ville de Cannes se sont tendus il y a quelques années.Cela va mieux?
Nous étions, je crois, dans notre rôle en alertant la ville sur l’importance de l’accueil et des équipements qui, s’ils se dégradaient, pourraient devenir les germes du déclin, alors que la concurrence est de plus en plus grande. Ce n’est pas le cas, donc tout va bien et nos rapports sont excellents.
Votre souhait pour cette édition?
Que les festivaliers soient heureux, que le cinéma leur donne confiance en son avenir et que les films présentés leur donnent le sentiment que la vie vaut la peine d’être vécue. La sélection est un voyage à travers le cinéma et le monde, avec ses soubresauts et ses émotions.J’espère qu’on retrouvera ça au Festival, comme chaque année.
Repères
29 mai 1960 : naissance à Tullins-Fure (Isère)
Etudes et maitrise d’histoire sociale
Ceinture noire de judo
1989 : embauché à l’Institut Lumière
1997 nommé directeur de l’Institut Lumière
2001 nommé délégué général du Festival de Cannes, conserve ses fonctions à l’institut lumière
2009 crée le festival Lumière à Lyon
2012 65 e Festival de Cannes
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