Après l'échec cuisant de son film précédent (Les Cotelettes, dézingué par la critique à Cannes), et un passage à vide de près de cinq années, Bertrand Blier revient au meilleur de sa forme et de son inspiration avec Le Bruit des glaçons, comédie dramatique surréaliste et grinçante, dans la lignée de Buffet Froid ou de Tenue de Soirée.

Le sujet à priori difficile (un écrivain atteint d'une tumeur du cerveau croit voir s'incarner auprès de lui son cancer) ne doit absolument pas décourager d'aller voir le film, qui est avant tout une comédie superbement écrite, intelligemment mise en scène et au bout du compte (attention :spoiler) ... étonnamment optimiste.

Certes, comme le reconnait Blier lui-même, "l'ombre gigantesque de Depardieu plane sur le casting" , mais aussi celles de Philippe Noiret ou de Patrick Dewaere qui auraient fait un duo écricain-cancer autrement plus marquant que celui, sans doute plus bankable et dans l'air du temps, formé par Dujardin et Dupontel. Pour sa première intrusion dans l'univers de Bertrand Blier, Jean Dujardin ne s'en tire toutefois pas si mal et Dupontel a définitivement la folie suffisante pour incarner tous les cancers du monde.

Reste une question délicate: à l'heure du formatage généralisé, ce cinéma là, intello, soixante huitard, littéraire, excentrique et atypique n'est-il pas trop daté pour connaitre, comme à l'époque des Valseuses, un vrai succès populaire? En attendant la réponse dans les salles, entretien avec le réalisateur...

D'où est venue l'idée d'identifier le cancer à un personnage comme celui de Dupontel ?

Au départ, c'est surtout une idée de première réplique qui date de l'époque de Tenue de soirée: "Bonjour, je suis votre cancer, il faudrait que nous fassions connaissance". Le film s'est construit autour. Je savais que le sujet pouvait faire peur ou rebuter, mais il y avait un moment que je n'avais pas tourné, j'ai eu envie de me faire plaisir et d'y aller à fond: arrivera ce qui arrivera...

Le tandem Dujardin/Dupontel fait immanquablement songer à celui de Depardieu/Dewaere à l'époque des Valseuses...

C'est vrai que l'ombre gigantesque de Depardieu planait sur le scénario. Pourtant je l'ai écrit sans penser au casting, pendant des vacances en Auvergne. Après je me suis dit que ce serait plus interessant avec un homme plus jeune que Depardieu.Dujardin s'est rapidement imposé et Dupontel a suivi presque logiquement. C'est un duo de Stradivarius, ces acteurs-là !

Le film est-il un exorcisme ?

Non car plus on vieillit plus on s'habitue à l'idée de mourir. J'étais beaucoup plus angoissé par la mort à 40 ans qu'aujourd'hui. Le film n'est ni un exorcisme, ni une thérapie. S'il a une vertu, c'est celle de l'optimisme. J'aime bien l'idée de niquer le cancer. Et même si je ne crois pas aux thèses psychosomatiques (Bourvil ne buvait pas, ne fumait pas et était trés gai, ça ne l'a pas empeché de l'attraper), j'aime penser que l'amour puisse faciliter la guérison.

Que signifie le titre ?
Le bruit des glaçons, c'est à la fois sympathique (on pense à l'apéro en été) et inquiétant (on conserve les morts dans la glace). Ca résume bien l'esprit du film, je trouve.

La limite entre le drame et la comédie est particulièrement ténue, comment parvenez vous à conserver l'équilibre?
C'est comme en musique, une question de rythme. Mon idée est que, si jamais ça peut être drôle il ne faut pas hésiter; mais si c'est dramatique, il faut y aller aussi. A la fin, je regarde mes scènes préférées (le cancer qui vomit de la bile verdatre, le coup de boule au médecin) et je me demande ce qu'en aurait pensé Molière. Je crois qu'il en serait fier.

L'échec de vos derniers films vous a-t-il marqué?
J'ai très mal vécu les quatre dernières années passées sans tourner. J'avais quatre projets de films en route et aucun ne trouvait de financement. Le paradoxe, c'est qu'aujourd'hui tout le monde est réalisateur, mais que les vrais ont du mal à tourner. J'espère que ce film-là me permettra de redemarrer. Je ferai peut-être encore une grosse bêtise comme Calmos , mais là c'est le film de la maturité, comme on dit.