Déjà auteur d’une trilogie sur le peuple gitan (Les Princes, Latcho Drom, Gadjo Dilo), Tony Gatlif ne pouvait que s’intéresser un jour au mauvais sort fait aux roms par les nazis pendant la deuxième guerre mondiale. Il le fait aujourd’hui avec Liberté, un film qui raconte le combat d’un couple de Justes (incarnés par Marc Lavoine et Marie-Josée Croze) pour sauver une tribu de roms réfugiée dans leur village. Venu présenter son film en avant-première aux rencontres cinématographiques de Cannes, le réalisateur Algérois m'en avait raconté le « makin of »...

L’holocauste des roms : « Depuis 30 ans que je fais du cinéma, je voulais faire ce film sur l’holocauste des roms. Mais j’étais trop jeune, pas assez expérimenté pour m’y risquer. Cela me faisait peur, car je ne suis pas un cinéaste de reconstitution et il y a très peu de sources sur le sujet. Or, je ne voulais pas trahir la vérité historique. Mais les Roms que je rencontrais me disaient presque à chaque fois : « Fais-nous un film sur la déportation des Roms ». Ils souffrent de ce manque de reconnaissance, de l’ignorance des autres vis-à-vis de leur propre histoire ».


Les justes : « J’avais d’abord pensé à faire un documentaire sur les Justes qui ont sauvé des roms. Mais je n’avais aucune source fiable. Quand Jacques Chirac a rendu hommage aux Justes en les réunissant au Panthéon, j’ai pensé en trouver. Malheureusement aucun n’était là. J’ai fini par trouver dans un livre de Jacques Sigot, une anecdote de quelques lignes sur le destin particulièrement tragique d’un dénommé Tolloche (rebaptisé Taloche dans le film). Interné à Montreuil-Bellay, il réussit à se faire libérer après avoir acheté, par l’intermédiaire d’un notaire, une petite maison à quelques kilomètres de la ville. Mais incapable de vivre entre quatre murs, il reprit la route pour retourner dans son pays d’origine, la Belgique. Il a été arrêté dans le Nord et a disparu en Pologne avec ses compagnons d’infortune. C’est tout ce que j’avais, mais c’était suffisant pour faire un film car Taloche représente pour moi l’âme tzigane ».

Les autres : « Je ne veux juger personne, pas même ceux qui les ont dénoncés, ni les gendarmes français qui ont participé aux rafles. Je veux juste montrer la réalité, sans exagération, sans humilier quiconque. L’histoire parle suffisamment d’elle-même. On doit se réconcilier avec notre histoire, même si ça ne nous fait pas plaisir. Mais le film montre surtout le côté des Justes, de ceux qui ont fait quelque chose de bien ».

Le casting : « Marc Lavoine était pour moi une évidence. C’est un excellent acteur et il a le physique du français de l’époque, ceux qu’on voyait dans les films en tout cas : Gérard Philipe, Maurice Ronet, Jacques Charrier, Pierre Fresnais... Sa voix aussi est très française. Pendant toute l’écriture, je l’ai rencontré régulièrement pour lui parler de son rôle et de l’histoire. Idem pour Marie-Josée Croze qui était aussi une évidence pour le personnage de Mademoiselle Lundi. Elle a un physique hitchcockien, à la fois fragile, mystérieuse et forte. C’était l’actrice idéale pour jouer la subtilité et l’ambiguïté de son personnage d’institutrice républicaine résistante. Pour Taloche, je voulais un musicien, quelqu’un qui soit à la fois capable de jouer de la musique, de monter aux arbres et d’en tomber. Je me demandais si je trouverai l’oiseau rare. Et puis j’ai vu James Thiérrée au Théâtre à Paris. C’est l’acteur dont je rêvais pour ce rôle. N’étant pas Tsigane, il a dû apprendre à parler rom, à jouer de la musique tsigane et surtout à se laisser posséder par la liberté de Taloche. Il y a réussi de façon extraordinaire »

Une nouvelle trilogie? « Je pense avoir fait un film utile, mais je sais qu’un seul ne suffira pas pour que cette histoire soit connue. J’en ferai très certainement d’autres ».