Si Dheepan n’avait pas reçu la Palme d’Or du dernier Festival de Cannes, il pourrait être considéré comme une parenthèse dans la filmographie de Jacques Audiard.Un petit film quasi expérimental, tourné sans gros moyens, dans une grande liberté d’improvisation, avec des comédiens inconnus, sans tête d’affiche et en langue tamoule pour la plus grande partie.Rien d’aussi magistral qu’Un Prophète ou d’aussi poignant que De Rouille et d’os, qui avaient valu à Audiard ses premières sélections cannoises (et un Grand Prix pour le premier), ni même d’aussi nerveux et crucial que Sur mes lèvres ou De battre mon cœur s’est arrêté. Un faux thriller auteuriste, sympathique mais un peu Tamoul du genou... La Palme, décernée à la surprise générale par le jury des frères Coen, change évidemment quelque peu la perspective.
L’intention de départ était, si l’on en croit le réalisateur, de faire un remake des Chiens de Paille (Sam Peckinpah 1971) avec un point de vue inspiré des Lettres Persanes (Montesquieu 1721).Curieux mélange a priori, mais qui fonctionne plutôt bien pour toute la première partie du film. On y suit le départ du Sri Lanka et l’arrivée en France des trois principaux protagonistes, leurs efforts d’intégration et la lente construction d’une famille recomposée de toutes pièces. On s’attache d’autant plus vite aux personnages que les trois acteurs sont impeccables. Le tamoul qu’ils parlent et les inserts oniriques d’images d’éléphant, rappelant leur déracinement, ajoutent une note d’exotisme bienvenue à la chronique sociale et familiale.
Ca se gâte avec l’arrivée du trio dans la cité, caricature de « no go zone » à la Fox News, infestée de dealers et noyautée par les gangs, qu’ils regardent « comme au cinéma » (sic). À partir de là, on bascule dans le « film de Vigilante (justicier) », genre réactionnaire (voire facho) qu’Audiard n’assume, semble-t-il, qu’avec des pincettes.C’est bien dommage, car cela aurait pu être jouissif : le mouton se transformant en Tigre et bouffant tout cru les vilains voyous qui se croyaient les plus méchants.
À l’écran, hélas, ce n’est pas tout à fait ce que l’on voit. Non content de transformer sans prévenir son héros, jusque-là parfaitement servile et veule, en Rambo de banlieue, Audiard stylise la scène façon jeu vidéo en laissant les morts hors champs et finit de saborder son film dans un happy end londonien pour le moins gênant.
Interrogé sur le message politique induit par cette dernière scène, le réalisateur se défend d’avoir voulu établir une quelconque comparaison d’intégration entre la France et l’Angleterre et répète à qui veut l’entendre que c’est seulement le rêve du personnage féminin qui se réalise : « Elle a toujours voulu aller en Angleterre.Peu importe le pays, ce qu’ils ont trouvé, c’est un foyer ».Sans doute. Mais ça va quand même mieux en le disant...
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