Les causalités linéaires – les explications par une cause – sont très critiquables. Il faut s’entraîner à raisonner en termes de constellations affectives et en termes de constellations déterminantes. Les déterminants d’une populations ne sont pas les déterminants d’un individu de cette population. Les déterminants d’une population : on confond famille monoparentale et mère abandonnée. Une mère qui travaille, qui a un amant, après le divorce, ce n’est pas une famille fermée. Une mère qui élève son enfant avec sa propre mère, ou avec un autre homme, ça s’appelle sur le papier « famille monoparentale » et pourtant, l’enfant a tout ce qu’il faut autour de lui pour se développer : une référence, « maman » et autour de cette base de sécurité, des constellations : beau-père, frère, sœur, copain, instituteur... Un enfant d’une famille d’une mère seule mais socialisée ne devient pas délinquant ou très peu, parce qu’il a autour de lui des tuteurs de développement ; et même si le père vient à manquer, il se développe quand même.

En revanche, si on prend une autre population : une mère abandonnée, au RMI, pas de travail, pas d’homme, pas de famille, et qui attribue à son enfant le seul espoir de sa vie de jeune femme, alors là, c’est la prison affective et il y a un risque grave de trouble de développement. Ce n’est pas du tout la même situation au point de vue de l’attachement, ce n’est pas du tout pareil.

On englobe tout ça dans « famille monoparentale » alors qu’il s’agit pour un enfant, dans le premier cas, de plein d’ouvertures, de rencontres, de gens qui interviennent dans son développement et dans le second cas, il y a une prison désespérée, où la mère est désespérée. Le seul baume qu’elle a dans sa vie, c’est son enfant et elle l’entraîne dans son désespoir.

Le premier à avoir fait un travail entre carences affectives et délinquance, c’est John Bowlby en 1950 qui a observé une population d’enfants anglais dont les parents avaient été tués dans les bombardements de Londres. Il a travaillé avec Anna Freud et René Spitz. Inspirés par l’éthologie animale ils ont pris deux populations. L’une de deux cents enfants : ils ont été traumatisés, répartis au hasard par la Croix Rouge qui les envoyait où il y avait des places. Ils ont été entourés par des institutions qui ont fait plutôt bien ce qu’elles ont pu : zéro délinquant. L’autre population de cent vingt-trois enfants matériellement bien installée dans un bon hôtel mais, humainement, personne ne leur parle : dix sept décès par anaclitisme (point de départ de l’hospitalisme) et vingt-trois délinquants. Ces enfants n’avaient pas la graine de la délinquance, l’environnement avait tutorisé les développements sécurisants dans une institution mais n’avait pas tutorisé le développement sécurisant dans une autre institution.

Ce qui est entré dans la culture, c’est le slogan – et non la réflexion – selon lequel un enfant en carence affective va devenir délinquant. Conclusion partiellement vraie, totalement fausse à partir d’un point de départ vrai : les 123 enfants. Des jeunes en prison se sont également emparés du slogan : « je suis en prison parce que personne ne m’a aimé... ».

B.C.