Les cigales stridulent. Un cagnard de plomb au coeur de la

combe. Dure la roche que l'homme frappe de son pic, à grands coups

réguliers, seul dans l'excavation. Dur aussi le regard qu'il fixe sur la

faille du bloc qui s'entrouvre devant lui. La carrière, c'est son

domaine, il s'y sent bien, comme d'habitude.



Il a repris son travail à la Sablière dès le petit matin, là-même où il

avait laissé son ouvrage après ces quelques jours passés hors du

temps.

Le soleil est déjà haut. Parfois, l'homme s'interrompt pour essuyer,

d'un revers de main, la sueur qui inonde son front et lui brûle

les yeux. Les muscles roulent sur son échine, en vagues successives

qui accompagnent chacune de ses frappes. Il s'applique et ahane en

abattant l'outil. Son souffle est un long feulement comme la plainte

d'un animal blessé.

A chaque impact, le bloc se fendille un peu plus. L'angle d'attaque

demeure identique. Le geste est ample, le rythme soutenu. Il ne

reste plus que quelques coups pour que l'énorme masse s'ouvre *

en deux parties jumelles.

L'ouvrier semble agir avec une froide détermination, comme si sa

vie était en jeu.

"En finir, à tout prix..." Cette tâche est à accomplir, depuis qu'il est

entré dans l'exploitation, chaque jour, quel que soit le temps. Son

salaire est celui de son sang...Du sang versé et de celui qui coule

dans les veines qui saillent sur ses mains.



Ses mains ! L'homme pense à la fille qu'il vient de quitter, là-bas,

près de la rivière.

Durs ses yeux , lorsqu'elle lui avait lâché :

"Tu croyais peut-être que je t'aimais, toi, le manoeuvre, pas

même capable de me faire vivre une semaine ?...

Des gars comme toi, je peux en avoir des tas, quand je veux et des

plus dégourdis !..."



Elle n'avait pas eu le temps de terminer sa phrase. Déjà, il avait

bondi sur elle, la renversant au sol, pesant de tout son poids sur le

torse menu.

Dures les pointes de ses seins à travers le corsage. Il sentit qu'il

n'allait pas pouvoir contenir la colère qui le submergeait. Hier

encore,elle gémissait sous ses caresses. Elle n'était que douceur,

toute fondante comme le miel des abeilles qu'il recueillait dans ses

ruches, du côté de MONTBRUN. Du bon miel, de lavande...

C'est vrai qu'elle sentait aussi la lavande la sauvageonne,cette

garce qu'il avait surprise ce dimanche, se baignant nue dans le

TOULOURENC, non loin du hameau des BERNARDS.

Entre deux rochers, elle se laissait glisser dans le courant, ventre et

seins offerts au soleil, sa brune chevelure ondoyant au fil, de l'eau.

Quand elle l'avait aperçu la guettant, mal dissimulé parc les saules

de la rive, elle avait laissé échapper un rire cristalln qui se mêlait

au murmure de l'eau sur les galets.

"Viens ! Qu'attends-tu pour me rejoindre ?" Sa voix s'était faite

insistante, presque rauque en finale...

"Sais-tu que l'eau fraîche éveille le désir d'être réchauffée sur

le sable?"



Il n'en avait crû ses yeux , ni ses oreilles ...

Etait-il l'objet d'un rêve, tel qu'il en faisait parfois? A la veille de ses

escapades à la ville d'où il rentrait, relativement serein et

vaguement nostalgique,mais toujours vaillant à la peine, prêt à

reprendre son gagne-pain monotone. Qu'il aimait, à sa façon. Le

seul qu'il savait bien faire. De celà il était sûr. Comme il savait

aussi, que les filles n'allaient qu'avec ceux qui avaient

l'argent facile. Tout était simple au fond. Lui, à sa place de

tâcheron, elles à la leur, sachant donner du plaisir et contenter les

appétits les plus féroces, contre espèces sonnantes.



Mais là non ! Ce n'était pas un rêve :

la jeunette était bien là, devant lui et elle lui souriait, l'appelait...


A suivre...

Demain !