Quel beau moment que la fin de l'automne pour se rendre dès potron minet mettre les pieds dans les herbes accrochées des premières gelées matinales. Bien couvert, bonnet sur la tête, deux chaussettes dans les godasses, gants collés aux doigts, attendre que le soleil se lève. Les yeux fixés sur un horizon encore noir écouter les trompettes qui commencent à résonner au loin. Remettre autour du cou le cache nez qui s'envole par le soufle du vent. Piétiner pour se réchauffer les pieds. Les yeux toujours fixés au loin découvrir les premières lueurs de l'aube. Au loin, ça s'énerve, ça glapit de plus en plus fort, par vagues. C'est un concert de "Krouh", de "Karrr" perçant et nasillards. Les "r" chantant comme un accent étranger que l'on aime entendre passer au dessus des villes et des campagnes. Un chant envoutant que certain pensent porter bonheur. L'oiseau emblême d'heureux présage est là, arrivé des pays du Nord, il fait une halte près de chez moi avant de se rendre au chaud, poussé par l'hiver qui arrive, pour trouver sa nourriture .

Disponible pour une semaine en cette fin d'octobre 2010 j'ai profité de ce congé pour rencontrer l'oiseau gris sur le bord du lac champardennais avant qu'il ne se rende en Estramadure.

J'y suis allé six fois en cette période. Tout d'abord avec Laurent, un pote à moi, puis seul, en repérage des sorties suivantes avec Marcel et François rejoint ensuite de Lilian et de Sylviane. Françoise, ma soeur, a été également très souvent de la partie. Je ne raconterais pas toutes les sorties mais quelques unes. Tout d'abord le 23 octobre avec Laurent, un pote à moi.

Fatigué par une semaine de travail bien remplie j'avais envie de me reposer. Laurent ne l'entendais pas ainsi. Il venait de faire l'acquisition d'un 300mm F2.8 et était pressé d'inaugurer son caillou sur une scène digne de ce nom. Le lac du Der est un bel endroit pour un baptème, c'est là qu'il avait décidé de venir ce 23 octobre. Il m'avait pourtant promis de rentrer tôt. "T'en fait pas, j'ai des invités ce soir, on sera rentré pour 17 heures". Et moi, je l'ai cru.

A l'exception d'une barre de nuage au niveau de l'horizon, le ciel du 23 au matin était clair. La lumière n'était pas encore suffisante pour des photos non bruitées mais des ombres se détachaient déjà sur les reflets de l'eau brillants en contre-jour. Les grues sont là, alignées en rang sur la bordure de ce grand lac artificiel qui régule la Marne et évite les inondations de la Seine sur Paris. Les grues sont plus éloignées que d'habitude me semble t'il. Le lac est également bien bas. C'est normal qu'il soit vidé avant l'hiver pour accueillir les eaux des pluies et des fontes des neiges, mais là, il est vraiment bas. Envisagent t'ils beaucoup d'eau cet hiver ?

Nous ne sommes pas les seuls à vouloir assister au spectacle. Quelques observateurs sont là avec leur longues vues. Beaucoup de digiscopistes cette année. C'est une technique qui a le vent en poupe. Les fabriquant ont bien senti le vent des profits venir. Ils proposent aujourd'hui des solutions adaptées à leur longue-vue sans avoir besoin d'un recours au bricolage. La longue-vue est bien adaptée au Der mais à cette heure matinale, le digiscopiste n'aura pas suffisamment de lumière pour réussir de bonnes photos.

Un voisin belge nous aborde. Il nous fait part de son voyage sur le chemin de Compostelle. C'est là que j'apprends qu'il existe plusieurs chemin dont l'un passe près du Der, il rejoint Vézelay. Je m'imaginais les pélerins avec un âne et un bâton. Celui-là dispose d'un trépied et d'une longue vue en guise de croix. La longue vue, il en a fait l'acquisition il y a peu. Elle porte une marque qui ressemble à celle d'une fabrique de jouet. Je souris. Il en est satisfait, c'est là le principal. En tout cas, le bougre est bien renseigné. "Les grues se lèvent à 7h45" me dit il. Il avait raison. A 7h44 après la traversée d'un bout du lac par quelques canards, c'est un vol de grues arrivant de la berge la plus éloignée du lac qui se dirige vers nous. Un vol qui annonce l'éveil. En effet, peu après, toutes les grues se mettent à chanter en même temps emplissant le lac d'une symphonie qui prend les tripes. On en oublie les pieds gelés et les réglages, on apprécie, c'est tout.

Ce matin, elles ne seront pas nombreuses à traverser le lac. Elles viennent par petits groupes, droit sur les observateurs, se détournant au dernier moment pour éviter de passer au dessus des humains. Les canards font des aller et retour entre deux berges. Le fond du lac est dans la brume. Les strates d'ombres et de lumières se succèdent vers l'horizon sans discontinuer.

Le ciel fera la seconde partie du spectacle. Les brumes claires du lac se déversent dans la masse de nuages brune qui rejoint le bleu du ciel par une ligne de rose pourpre se fondant dans l'azur naissant. La lumière de l'aube se fait plus présente intégrant une touche de jaune à ce pastel de ciel tranquille ou se détache l'ombre des grues battant paisiblement l'air de leurs ailes bordées de noir.

Je regarde l'écran de contrôle de mon appareil photo. Beaucoup de flous. Pas question de changer les paramètres, la lumière arrive et devrait permettre de meilleures photos. Il est bientôt huit heures, les nuages font des virgules qui semblent montrer aux grues la forme qu'elles doivent adopter. La rafale de mon appareil crépite. Ma voisine me signale que je vais finir par les tuer en les mitraillant de la sorte. C'est le seul moyen pourtant de sortir une photo bien composée où les grues ne sont pas trop en tas, ou l'ouverture des ailes est suffisamment significative pour les reconnaitre. J'ai du travail de post-traitement, c'est sur, mais quel plaisir de revoir les images de ce spectacle après une journée de travail.

Les passages de grues sont moins nombreux depuis quelques minutes. Après le spectacle coloré du ciel, le soleil entre en scène. La zone de nuages qui formait ombre se marbre de rouge et donne de beaux reflets à la surface de l'eau. L'onde devient, un moment, couleur d'or. C'est à ce moment qu'une troupe de canard en profitera pour se rendre à la rive opposée. Spectacle final de ce début de matinée.


Autant vous dire que nous n'en sommes pas resté là et qu'à 17 heures nous n'étions toujours pas rentrés. Séance de baguage, repas chez Françoise, visite du lac Amance, etc. etc. enfin la belle vie quoi ...