Ceux qui connaissent mon activité d'amateur photographe connaissent mon chariot de course équipé photo.Il s'agit d'un chariot de course dont j'ai enlevé le sac d'origine pour le remplacer par un sac à dos photo dont j'ai coupé les bretelles. Ce sac est solidement fixé sur le cadre à roulette. Il s'agit d'un moyen de transport de matériel assez pratique qui a le grand avantage d'être équipé d'un siège. Je ne le sors pas à toutes mes sorties car il faut un terrain plutôt plat et suffisamment large pour le laisser passer. Les digues du lac du Der et les chemins dégagés sont fait pour lui.
Samedi, après le repas de midi, j'embarque le matériel dans le coffre. Mon objectif est de me rapprocher des cigognes noires aperçues par ma soeur Françoise. Odile, ma femme, me regarde emplir le coffre et me désigne sur une étagère un petit filet de camouflage que j'utilise en cache col l'hiver. Elle me dit : "Tiens tu oublie ça !".
Pour être rapidement sur le terrain, je prends la route de Vitry. C'est une quatre voies rapide que je n'aime pas trop. Je lui préfère la petite route mais tans pis, il est déjà 13 heures, j'ai hâte d'être sur le terrain. De toute façon, cette année la petite route n'est habitée que par les corbeaux et les corneilles.
La petite route m'aurait mené plus naturellement vers le lieu d'observation des cigognes noires. La grande route, elle, mène directement à Vitry-le-François et comme d'habitude, mon envie de départ se transforme. Avant d'arriver à Vitry je me rappelle que la route de Montier-en-Der évite la ville, c'est une petite route bordée de gravières. Je décide de l'emprunter.
A chaque fois c'est pareil, lorsque j'ai un objectif de ballade je m'en éloigne dès l'instant ou je monte dans la voiture. Je veux aller à Ste-Menehould, je me retrouve à Epernay, je veux aller aux marais de St Gond, je me retrouve aux Faux de Verzy. Je veux aller près de Brienne, je me retrouve à la Cornée du Der.
Je gare la voiture sous un panneau "sentier interdit, présence de chenilles processionnaires urticantes". Au printemps j'avais déjà bravé l'interdit et m'étais gratté plus de quinze jours. Je récidive. Je sors du coffre mon chariot de course, enfile le trépied dans la poche prévue pour lui, attache l'appareil équipé du 70-400mm à la rotule et me voilà parti.
En chemin, ce ne sont que libellules, lestes et autres gomphes. L'objectif macro est dans le sac. Pour l'atteindre, il faut enlever le trépied pour ouvrir la poche qui le contient. Je ferme les yeux sur les libellules, de toute façon j'ai oublié le flash dans la voiture. Il est dans un petit sac à dos avec le nécessaire de nettoyage des objectifs. Je pensais pouvoir m'en passer, je m'en passerais.
Avant d'arriver à la cornée, j'ai repéré des tâches blanches sur le lac. Cela pouvait être des cygnes, ils sont fort nombreux cette année sur le Der. Cela pouvait être aussi des aigrettes. L'aigrette garzette est déjà bien présente sur le lac mais elle est beaucoup plus petite qu'un cygne. J'opte pour la présence de grandes aigrettes.
Je m'enfile dans le bois par une grande allée au début goudronnée puis sur le chemin de terre. Il me faut aller à droite, c'est là que les aigrettes sont présentes. Arrivé en bordure du lac, rien en vue à part les libellules et les grenouilles vertes qui croassent à quelques pas.
En bordure de lac mon chariot passe partout mais, après moins de 500m, la vase commence à coller aux roues. Je décide d'une pause photo. J'ouvre le sac, récupère l'objectif macro et prends quelques clichés. Le soleil tape fort, il fait chaud et les libellules se jouent de moi. Après une demi-heure je décide de m'installer à l'ombre, choisi un terrain moins meuble que la vasière, déplie le siège, installe le trépied et remonte le 70-400mm. Vraiment très pratique ce petit siège. Je sors une pomme et la croque tranquillement. J'entends des cyclistes qui passent dans le bois derrière moi. Il fait bon, je suis bien. Mon affut improvisé est vraiment agréable.
Les aigrettes aperçues à mon arrivée se sont déplacées. Je les vois maintenant sur la rive d'en face, une puis deux, puis trois. C'est maintenant toute la colonie qui est installée. Elles sont vraiment trop éloignées. J'équipe le zoom d'un doubleur et teste ce 800mm improvisé. Le doubleur n'est pas fait pour cet objectif, la mise au point est manuelle. Les photos ne sont pas bonnes, trop de diffraction, je l'enlève.
Un raffut caractéristique arrive à mon oreille. C'est le décollage du cormoran. C'est un oiseau qui frappe l'eau de ses ailes avant de prendre de la hauteur. Mais ce raffut est multiple. Il n'y a pas qu'un cormoran, il semble y avoir une troupe. Je lève les yeux sur la rive opposée. Ce qui me semble n'être qu'une dizaine d'individus vient de la gauche et se dirige vers la colonie de grandes aigrettes. Ils s'envolent, atterrissent, se renvolent, atterrissent de nouveau et continuent ainsi sans s'arrêter. Ils passent devant les aigrettes qui commencent à les suivre. S'ils continuent ce chemin, ils devraient arriver devant moi d'ici quelques minutes. Je pose le petit filet de camouflage sur mon bob, cache mes mains et ma tête. Assis, rien ne devrait ressembler à un homme. C'est mon premier affut. Je ne suis jamais aussi patient et impatient que ça.
Le raffut se rapproche, une musique d'ailes froissées, de vent battu, d'eau éclaboussée, un bruit qui m'émerveille tout comme celui des grues aux réveil. Un souffle de vie est en train de passer près de moi. Une grande aigrette se pose dans la vase à moins de vingt mètres. Je n'ose prendre une photo de peur de la faire fuir. Elle effectue une petite danse en s'éloignant. M'a t'elle repéré, senti, détecté ? Je ne bouge toujours pas. Mes yeux, coincés dans leur orbite, balayent la rive.
Ce sont les oreilles qui m'avertiront les premières. Les cormorans arrivent sur la droite. Ils sont plus d'une centaine. Ils s'envolent à tour de rôle, leurs ailes frappent l'eau puis ils se reposent dix mètres plus loin. Derrière, une armée de cormoran les suivent, plongent et remontent avec, pour les plus chanceux, un poisson ou une écrevisse. Les moins chanceux remontent bredouilles ou avec une algue dont ils ont du mal à se débarrasser. Un balai magnifique et fort bien organisé. Ceux qui volaient tout à l'heure plongent maintenant. L'un deux remontera un brochet de petite taille. Les prédateurs ne sont pas toujours ceux qu'on croit.
Le vacarme est continu, j'ose quelques déclics et regarde l'effet sur la troupe. Ils ne m'entendent pas. Les grandes aigrettes se posent tout près de mon affut comme si je n'était pas là. J'évite tout de même les tirs de mitraille et profite du spectacle. Les grandes aigrettes profitent du poisson rabattu par les ailes des cormorans. Elles suivent la troupe en intéressées. Elles ne sont pas les seules, deux mouettes sont de la partie, quelques hérons sont également présents dont un tout noir. J'écarquille les yeux, ce n'est pas un héron. C'est une cigogne, bec et pattes rouges. Elle vole à moins de 50 mètres de moi et se pose plus loin avec la troupe d'aigrettes. J'ai pris en photo ma première cigogne noire en liberté.
Qui a dit que je n'avais pas suivi mon objectif de départ ?
Les photos de cette sortie, c'est par là : https://www.test.ipernity.com/doc/alain.gobert/album/205137
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